A l’occasion de la publication du rapport d’Epi-Phare sur l’impact des actions menées depuis 2018 par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’assurance maladie pour réduire le risque de méningiome associé à l’utilisation de l’acétate de cyprotérone (Androcur* et génériques) à forte dose, publié jeudi (cf dépêche du 01/12/2022 à 18:27), l’ANSM a fait un point sur la surveillance du risque de méningiome avec les progestatifs.
L’agence a détaillé le processus de mobilisation mis en œuvre pour la cyprotérone à haute dose à la suite d’une alerte, et sa volonté de l’appliquer plus généralement.
Ce processus tient en quatre étapes, a précisé Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’agence:
– l’identification du risque, par les alertes de pharmacovigilance ou l’analogie des molécules utilisées ou des mécanismes pharmacologiques ;
– la caractérisation du risque, avec les études de pharmaco-épidémiologie notamment, étape où intervient Epi-Phare;
– la mobilisation des mesures (Comités scientifiques temporaires pluridisciplinaires (CST), auditions publiques, communication vers les professionnels et les patients, révision des indications, modifications du RCP/notice…);
– le suivi de ces mesures et l’évaluation de leur impact, afin d’orienter les politiques de santé publique et les décisions.
L’agence surveille ainsi plusieurs traitements progestatifs pour le risque de méningiome, avec une “mobilisation similaire”, à différentes étapes du processus.
Sur Mirena* qui contient du lévonorgestrel, une suspicion de risque a été identifiée en novembre 2019 après une enquête de pharmacovigilance, puis le signal a été remonté à l’Agence européenne du médicament (EMA) en décembre 2019. Une conclusion européenne a été rendue en novembre 2020, “mettant en avant des données trop limitées et un facteur de confusion relatif à l’âge, avec un signal réfuté au final”, a rappelé Christelle Ratignier-Carbonneil.
“Pour autant, nous avons mobilisé et mobilisons encore des données épidémiologiques via Epi-Phare pour caractériser ce signal potentiel, aller voir dans la vraie vie, avec la base du SNDS [Système national des données de santé] couplée aux données hospitalières au niveau national du PMSI [Programme de médicalisation des systèmes d’information]”.
“Les premiers éléments analysés par Epi-Phare -éléments encore en cours de mobilisation- n’identifient pas de surrisque”, a-t-elle indiqué, soulignant qu’il était aussi important d’objectiver le risque que d’objectiver quand il n’y a pas de risque.
L’impact des mesures pour Lutényl* et Lutéran* évalué fin 2023
Les macroprogestatifs acétate de chlormadinone (Lutéran* et génériques) et acétate de nomégestrol (Lutényl* et génériques) ont quant à eux déjà fait l’objet de mesures de réduction du risque de méningiome, dans la foulée de celles prises pour l’acétate de cyprotérone, avec environ deux ans de décalage.
“C’est une situation à la fois assez analogue mais aussi spécifique et différente par rapport à la cyprotérone, notamment concernant le niveau d’exposition des femmes: elle est très importante, autour de 450.000 femmes traitées par an, contre moins de 90.000 sous Androcur*“, a souligné la directrice générale.
“Dès 2015 nous avons porté le sujet du risque potentiel de méningiome au niveau de l’EMA. Comme pour la cyprotérone, nous avions peu de déclarations, moins de 10 en 2017. Pour autant, nous avons communiqué sur ce risque auprès des professionnels de santé dès février 2019. Il y a eu des données épidémio d’Epi-Phare disponibles en juin 2020 (cf dépêche du 17/06/2020 à 18:48)”, selon le même processus.
“Des actions analogues à celles mobilisées pour Androcur*” ont ensuite été transposées:
– surveillance par imagerie cérébrale,
– révision des indications,
– prescription soumise à attestation d’information,
– courriers Cnam/ANSM, lettres aux professionnels de santé,
– points d’information,
– modifications des RCP et des notices,
– arbitrage européen.
“Nous portons aussi ce sujet au niveau européen, en termes notamment de pharmaco-épidémiologie. Les équipes ne sont pas nombreuses au niveau européen et international, Epi-Phare est reconnue internationalement”, a-t-elle fait remarquer.
L’évolution des remboursements de nomégestrol et chlormadinone depuis 2018 en France montre déjà qu’à chaque mobilisation, chaque action, “on voit des décrochages en termes de remboursement, de dispensation”, a-t-elle présenté.
Toutefois l’évaluation par Epi-Phare de l’impact des mesures prises n’interviendra qu’à partir de fin 2023, afin d’avoir le recul nécessaire avec l’ensemble du processus de dépistage des méningiomes, a précisé Alain Weill, responsable du département d’études en santé publique de la Cnam et directeur adjoint d’Epi-Phare. “On voit déjà l’effet sur le nombre de boîtes. Mais il faut savoir vers quoi les patientes se reportent, si ce sont des arrêts définitifs etc., cela nécessite un peu de temps.”
“Le suivi des remboursements et de la dispensation est un suivi plus fruste que ce qui est réalisé par Epi-Phare mais cela permet d’avoir un suivi immédiat et qui permet, quand on voit déjà une diminution aussi importante de l’utilisation, de pouvoir appréhender déjà une première forme d’impact”, a expliqué la directrice générale de l’ANSM.
Une surveillance pour une série de molécules
D’autres molécules sont sous la loupe de l’ANSM pour le risque de méningiome: “On regarde, on suit en termes de risque potentiel de méningiome eu égard à la classe et au mécanisme et aussi du fait de l’augmentation des ventes ou de l’utilisation d’un dosage élevé”, a noté Christelle Ratignier-Carbonneil.
Une surveillance de l’utilisation et des remboursements est en place “et on regarde si on a un signal en pharmacovigilance et en épidémiologie”, pour le désogestrel 0,075 µg, le diénogest 2 mg, la drospirénone 4 mg, la dydrogestérone 10 mg, la médrogestrone 5 mg et la progestérone 100 ou 200 mg.
Le diénogest 2 mg indiqué dans l’endométriose est remboursé depuis 2020. Une augmentation continue des remboursements mensuels est constatée depuis, pour atteindre plus de 60.000 boîtes par mois en juillet-août 2022, selon les données présentées par la directrice générale.
Les limites de la pharmacovigilance et le déni des leaders nationaux et agences expliquent les délais d’action
Le délai d’action entre les premières alertes et la mise en oeuvre de mesures de réduction du risque de méningiome, observé pour la cyprotérone en particulier, s’explique par “les limites de la pharmacovigilance”, a expliqué Isabelle Yoldjian, directrice médicale de l’ANSM.
Sur la cyprotérone, “on était coincé [pour savoir] comment avancer sur la caractérisation du risque et ce qu’on peut faire de plus que l’information mentionnée dans les RCP et notices, on a beaucoup réfléchi, discuté avec la Cnam. L’étude de 2018 [d’Epi-Phare] finalement a été initiée en 2016, il faut un temps pour la concevoir et avoir les résultats“.
Un autre facteur limitant est que les bases de données sont relativement récentes. “On avait besoin d’une profondeur de base très importante. L’étude [d’Epi-Phare] a une profondeur d’une dizaine d’années. Pour réussir à montrer ce qu’on a montré on avait besoin d’avoir un recul fort. Si on avait fait cette étude un an avant, en 2015 ou même 2014, on n’aurait pas eu le recul nécessaire. A un moment la science avance, les choses peuvent se faire, ce n’est pas possible à un autre moment. Il y a eu une gradation des actions au fur et à mesure où c’était possible de le faire.”
“L’alerte sur la cyprotérone a été donnée en 2009, la modification du RCP en 2011, en 2014 les résultats d’enquêtes de pharmacovigilance avec peu de cas déclarés. On veut aller plus loin mais pour cela il faut cette antériorité, ces 10 années d’exposition”, a ajouté Christelle Ratignier-Carbonneil.
En outre, “ce n’était pas si facile d’emporter la conviction des leaders nationaux, de l’agence européenne, sur cette affaire”, a souligné Alain Weill. “Il y a eu une réaction initiale de déni, ils n’y croyaient pas, puis ils ont vu les données et ont fini par être tous d’accord que c’était vrai, mais ce n’était pas une affaire qui allait de soi.”
“Si une enquête avait pu être faite il y a 10 ans, [cela n’aurait pas été] du tout une enquête sur le SNDS, dans le giron de l’ANSM ou de la Cnam. Il fallait faire une enquête de type cas-témoin dans les centres de neurochirurgie et comparer les gens opérés de méningiomes avec les témoins, et voir qu’il y avait beaucoup trop de gens sous progestatifs forts qui étaient opérés de méningiomes par rapport à des témoins. C’est faisable, c’est quelque chose de classique, ça n’a pas été fait, pourquoi, je n’en sais rien, mais clairement ce n’était pas dans l’air du temps”, a-t-il évoqué.
cd/nc/APMnews
RAPPEL : qui siège au groupe de travail “Méningiomes et progestatifs” ?
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