Article de 2 pages de Perrine Vennetier
sur l’Androcur et l’association dans le magazine QUE CHOISIR Santé de mars 2020
À 53 ans, Emmanuelle Mignaton-Huet découvre que plusieurs méningiomes (tumeurs non cancéreuses) se sont développés dans son cerveau. En cause : l’Androcur (acétate de cyprotérone) qu’elle prend depuis plus de 10 ans. Après une opération lourde de conséquences, elle crée Amavea une association pour soutenir et faire entendre les autres victimes de médicaments.
« Parler m’épuise. C’est la séquelle qui me reste de l’opération. » Il y a deux ans en effet, Emmanuelle Mignaton-Huet subit une intervention chirurgicale pour retirer une tumeur cérébrale qui comprimait son cerveau. Elle se réveille aphasique, privée de mots. « J’ai dû tout réapprendre », explique-t-elle. Mais depuis qu’elle retrouvé l’usage de sa voix, Emmanuelle entend bien porter la parole de celles et ceux qui, comme elle, sont victimes de l’Androcur (acétate de cyprotérone). Car c’est lui la cause des tumeurs cérébrales (méningiomes) qui se sont développées dans son cerveau.
L’Androcur n’est normalement autorisé chez les femmes qu’en cas d’excès de pilosité (hirsutisme) majeur et très gênant. Mais dans de nombreux cas, comme pour Emmanuelle, il est donné sans autorisation. Pour Emmanuelle, la prescription est faite pour une endométriose, un trouble du tissu de l’utérus qui provoque souvent des douleurs invalidantes. « Pour ça, je dois dire que ce médicament m’a soulagée » reconnaît Emmanuelle. Pour le reste…
Une longue dégradation
Débuté en 2003/2004, ce traitement hormonal lui fait prendre 30 kilos et perdre sa libido (« C’est une castration chimique, ça on ne le dit pas souvent ») avant de provoquer des effets indésirables plus graves encore. D’abord, sa jambe se dérobe de temps en temps, comme « si mon cerveau se déconnectait » décrit Emmanuelle à qui son médecin déclare seulement : « vous êtes trop grosse, faite du sport ». Puis des maux de têtes violents surviennent, diagnostiqués comme de simples « céphalées de tension ». S’ajoutent des troubles de la mémoire et une si grande fatigue qu’Emmanuelle peine à poursuivre son activité d’analyste financière, enchaîne les arrêts maladies et est obligée de passer en invalidité. Enfin des « maladresses » se multiplient, les objets lui échappent, jusqu’à ce matin de 2017 où Emmanuelle se réveille avec une main droite inerte.
Le cliché de l’IRM demandé en urgence révèle aussitôt de « grosses masses » dans le cerveau : cinq méningiomes (tumeurs des méninges), non cancéreuses mais qui provoquent des dysfonctionnements. « J’étais presque soulagée qu’on trouve enfin quelque chose, une cause à mes problèmes et pas seulement psychologique ! ». Tout va très vite ensuite. Il faut opérer pour retirer un de ces méningiomes, rendez-vous est pris, en octobre 2017 la tumeur est enlevée. Un programme de surveillance est mis en place avec une IRM tous les 6 mois. Emmanuelle entame sa convalescence.
Des médecins peu consciencieux
À l’hôpital Sainte-Anne à Paris où Emmanuelle se fait opérer, le rôle du médicament dans la survenue des méningiomes est immédiatement évoqué. « Mais moi, je n’y croyais pas trop, d’ailleurs je n’avais même pas arrêté le médicament après l’opération ! Mais en janvier 2018, je comprends qu’il faut que j’arrête. À ce moment-là, ma gynéco me dit « moi ça m’étonne qu’il y ait un lien » et « si vous arrêtez, vous allez souffrir », déplore Emmanuelle pour qui, rétrospectivement, les choses auraient pu se passer autrement. « En 2014, à Caen, j’avais discuté avec un professeur de gynéco en demandant : « ça fait longtemps que je prends des hormones, est-ce qu’il y aurait une autre solution ? » et il m’avait retorqué qu’on ne change pas un traitement qui marche. » À cette époque pourtant, le risque de méningiome en cas d’utilisation prolongée est clairement mentionné dans la notice (voir encadré chronologie). « Mais justement, quand on prend un médicament depuis très longtemps, on n’a pas de raison de retourner lire la notice » souligne Emmanuelle.
La colère monte mais peine à s’exprimer. Elle fait des recherches, entre en contact avec d’autres personnes, fréquente un groupe facebook, écrit aux journaux. En avril 2018, elle rencontre Nathalie Grillot, elle aussi victime de l’Androcur. De là naît l’idée d’une association. Emmanuelle rencontre Marine Martin, qui se bat pour la cause des enfants handicapés nés sous Dépakine et Irène Frachon , qui a lancé l’alerte pour le Médiator. En janvier 2019, les statuts sont déposés pour l’Amavea, Association Méningiomes dus à l’Acétate de cyprotérone, aide aux Victimes Et prise en compte des Autres molécules.
Aide aux victimes
L’objet de l’association est large : apporter du soutien aux victimes, informer sur les médicaments, accompagner juridiquement celles qui veulent obtenir une indemnisation. « Les personnes sont très demandeurs du judiciaire, analyse-t-elle. Et c’est vrai que certaines sont des situations financières terribles, ils ont besoin d’une réparation financière ». Le méningiome est en effet une tumeur bénigne mais ses conséquences ne le sont pas. Certaines femmes deviennent épileptiques, nombreuses sont celles qui ne peuvent plus travailler.
Emmanuelle positive : « L’avantage de ma propre invalidité c’est que j’ai du temps pour aider les autres. » Car la réparation ne s’obtient pas seulement devant un tribunal mais dans l’entr’aide. « Au téléphone j’essaie d’apporter du soutien et des informations de santé aux personnes, j’écoute leur colère, leur souffrance. Et j’essaie de porter leur parole et d’envoyer un message aux laboratoires pharmaceutiques ». Car pour Emmanuelle, il faut que les laboratoires assument leur part quand aux risques liés aux effets indésirables du médicament. Une piste ? La création d’un fonds d’indemnisation commun.
Victimes du médicament : la double peine
Les victimes d’effets indésirables graves de médicaments graves disposent de deux voies, qui présentent chacun des obstacles rendant difficiles l’indemnisation.
–La voie dite amiable. Organisée par les CCI régionales (commission de conciliation et d’indemnisation), c’est la plus courte, la moins coûteuse et sans doute la moins éprouvante. Elle permet en théorie d’indemniser des accidents médicamenteux quand personne n’est responsable (aléa thérapeutique ou faute à pas de chance). Il faut néanmoins démontrer une relation de cause à effet entre le médicament et les dommages. Or, selon les experts et les CCI, de grandes disparités de jugement sont constatés. Autre problème : les seuils de gravité nécessaires sont hauts. Il faut par exemple justifier de la perte d’un œil pour pouvoir bénéficier de la procédure. Or de nombreux dommages, portant chroniques et réellement handicapants, n’atteignent pas ce niveau.
-La voie judiciaire. Cette procédure devant les tribunaux est plus longue, coûteuse et ardue que la voie amiable. Mais les montants d’indemnisation y sont généralement plus élevés. Comme pour la voie amiable, il faut démontrer que le médicament est bien en cause dans la survenue des dommages subis. Si l’effet indésirable n’est pas dans la notice, la relation de cause à effet est souvent difficile à prouver. Si l’effet indésirable est dans la notice, c’est plus facile… mais alors, la réglementation est telle, que cela exclut de fait la responsabilité du laboratoire ! Il reste possible d’engager la responsabilité du prescripteur, si par exemple il a prescrit le médicament de manière injustifiée.
Androcur > Un risque de tumeur connu de longue date
1980 : L’Androcur [acétate de cyprotérone, 50 mg] obtient son autorisation de mise sur le marché. Ce traitement hormonal, de famille des progestatifs, est autorisé pour le traitement de l’hirsutisme (excès de pilosité) sévère chez les femmes et traitement de la prostate chez les hommes.
2008 : Le risque de méningiomes multiples lié à la prise d’acétate de cyprotérone est présenté à l’occasion d’un congrès médical.
2009 : Les autorités européennes de pharmacovigilance étudient la question.
2011 : Les notices et RCP [la fiche officielle du médicament] sont modifiés pour mentionner le risque de méningiome. Un antécédent ou la survenue d’une telle tumeur devient une contre-indication.
2014 : Une enquête du centre de pharmacovigilance de Strasbourg dénombre 44 cas de personnes ayant eu un méningiome sous progestatifs.
Octobre 2018 : L’agence du médicament (ANSM) publie les résultats d’une étude de quantification : le risque de méningiome est multiplié par 20 en cas de prise supérieure à 5 ans. Dans le même temps des recommandations de prise en charge des patients sont diffusées.
Mars 2019 : Un rapport de l’assurance maladie confirme « une très large utilisation hors AMM » (sans autorisation officielle donc) de l’Androcur et de ses génériques, avec une absence dans 85 % des femmes d’examens de recherche d’un hirsutisme. Les principaux usages détournés sont contraceptifs et contre l’acné.
1er juillet 2019 : De nouvelles conditions de prescription et de délivrance de l’acétate de cyprotérone sont instaurées : les médecins doivent remettre une fiche d’information et signer une attestation de remise.
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