Menu Fermer

« A cause de l’Androcur, j’ai eu cinq tumeurs au cerveau. Il m’en reste quatre. »

l'obs androcur

https://www.nouvelobs.com/vie-de-malade/20200923.OBS33724/a-cause-de-l-androcur-j-ai-eu-cinq-tumeurs-au-cerveau-il-m-en-reste-quatre.html

VIE DE MALADE. Emmanuelle Mignaton a pris ce progestatif pendant des années pour soigner une endométriose. Elle saisit aujourd’hui la justice pour faire reconnaître sa dangerosité.

Temps de lecture 6 min
emmanuelle mignaton androcur
Emmanuelle Mignaton

Pendant près de quinze ans, Emmanuelle Mignaton, 56 ans, ancienne analyste financière qui vit aujourd’hui en Normandie, a pris ce traitement pour soigner son endométriose. Elle est la fondatrice de l’Association des Victimes de Méningiomes dus aux Médicaments (Amavea) et a déposé un recours en justice contre les laboratoires Bayer. Elle témoigne pour « l’Obs » :

« On m’a diagnostiqué une endométriose [maladie gynécologique qui se manifeste par une prolifération douloureuse des tissus de l’endomètre, NDLR] en 2003. J’avais 39 ans. Avant cela, je ne prenais pas tellement de médicaments. Je ne bois pas, ne fume pas, j’ai toujours eu conscience qu’il fallait prendre soin de son corps pour qu’il fonctionne bien. J’étais analyste financière à la Banque de France, je gagnais bien ma vie.

A l’époque, je souffrais tellement que j’avais demandé qu’on m’enlève tout, même l’utérus et les ovaires, car j’avais déjà deux enfants. Mais le gynécologue a refusé. Il avait peur que je change d’avis et que je veuille d’autres enfants plus tard. Il s’est contenté de me retirer des kystes et des adhérences.

Les gynécologues bricolaient

Pendant quelques mois, on m’a fait des injections de Décapéptyl [médicament qui supprime la synthèse des œstrogènes dans les ovaires], puis un professeur de gynécologie m’a prescrit de l’Androcur [dérivé de la progestérone, lire ci-dessous]. Par la suite, ce sont deux autres spécialistes qui ont renouvelé ce traitement, car j’ai toujours refusé d’être suivie par un généraliste pour ma maladie. Par moments, j’avais l’impression que les gynécologues bricolaient, ils me passaient sous Lutéran [un autre progestatif] quand l’Androcur ne faisait plus effet.

Je me souviens de mon dernier rendez-vous avec le professeur qui me suivait alors, en 2016. Je lui ai demandé : « Je prends des hormones à haute dose depuis longtemps, il n’y a pas de risques ? » Il m’a répondu : « Non, et on ne change pas un traitement qui marche. » L’année d’après, j’ai commencé à avoir des problèmes neurologiques qui n’ont pas été identifiés comme tels au départ. J’avais d’atroces maux de tête, comme si une pression s’exerçait à l’intérieur de mon crâne. J’étais extrêmement fatiguée, l’une de mes jambes ne me portait plus. Pour mon généraliste, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter : « C’est normal, vous travaillez, vous avez des enfants, faites du sport. »

Une tumeur de la taille d’une orange

Les choses ont traîné comme ça jusqu’à l’été 2017. Ma main droite ne se fermait plus, elle était inerte. Un côté de ma bouche était paralysé, comme si j’avais subi une anesthésie dentaire. On m’a enfin fait passer une IRM cérébrale et là, les médecins ont découvert que j’avais cinq méningiomes, des tumeurs bénignes qui se développent sur les enveloppes du cerveau. L’une d’elles avait la taille d’une orange !

On m’a conseillé d’aller me faire opérer à Paris, car l’hôpital de Caen ne pouvait pas pratiquer ce type d’opération. Je me suis donc rendue à l’hôpital Saint-Anne, où le neurochirurgien qui m’a prise en charge m’a demandé quel traitement je prenais. Quand je lui ai dit que j’étais sous Androcur, il m’a tout de suite répondu : « Eh bien c’est à cause de cela que vous avez des tumeurs. »

Sur le coup, je n’ai pas percuté, c’était une information secondaire, je n’y ai pas cru. Je ne suis même pas allée faire des recherches sur internet. Pour moi, l’urgence était l’opération, car j’avais beau avoir déjà subi deux césariennes et une ablation des kystes, se faire ouvrir le crâne, ce n’est pas rien ! On m’a ôté la plus grosse tumeur en 2017. Le chirurgien n’a pas voulu retirer les autres, car l’opération était trop risquée.

« Je ne pouvais plus parler, ni écrire »

Après l’intervention, ils m’ont laissée intubée quelques heures alors que j’étais consciente. La sensation d’avoir une machine qui respire pour soi est affreuse.

Je me suis réveillée aphasique, avec tout le côté droit paralysé. Je ne pouvais ni parler ni écrire. J’ai ressenti une immense solitude à l’hôpital. Je me suis beaucoup retrouvée dans la description qu’en fait Philippe Lançon dans son livre « le Lambeau ». Si j’avais besoin de quelque chose, je n’avais aucun moyen de communiquer. Mon fils est arrivé cinq jours après, il essayait de me faire prononcer les premières syllabes des mots. Je n’avais pas été lavée depuis l’intervention, j’ai réussi à le lui faire comprendre, en sortant des sons que je ne maîtrisais pas. J’ai dû faire de la rééducation orthophonique. L’opération m’avait aussi abîmé la mâchoire que j’avais du mal à ouvrir.

J’ai récupéré l’usage de ma main au bout de deux mois. J’ai mis sept mois à reparler. Ce n’était pas un vrai locked-in syndrome, mais moralement, je souffrais beaucoup.

Six mois après l’intervention, j’ai revu mon neurochirurgien. Je ne parlais pas encore, il m’a donc demandé d’écrire mes questions. « Êtes-vous vraiment sûr que les tumeurs sont dues à mon traitement ? A quel pourcentage ? » Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit « à 100 % ». C’est là que j’ai commencé à sonder internet. L’ANSM [Agence nationale de Sécurité du Médicament] n’avait pas encore émis d’alerte. J’étais très en colère.

Pour tenter d’obtenir des réponses, j’ai écrit à EndoFrance, une association de patientes à laquelle j’adhérais depuis des années, aux différents gynécologues qui m’avaient suivie. EndoFrance m’a dit que si je voulais être une lanceuse d’alerte, c’était mon affaire, pas la leur.

J’ai envoyé des mails à des journaux pour demander s’ils étaient au courant de ce qui se passait, je n’ai jamais eu aucune réponse.

Des femmes opérées chaque semaine

Le seul gynécologue qui m’ait répondu est le dernier que j’ai vu, en 2016. Il m’a expliqué qu’il savait qu’il y avait des effets indésirables, mais pensait qu’ils étaient tellement rares qu’il n’y avait pas de risque. Il s’est excusé, il espérait que j’allais m’en sortir car selon lui, beaucoup ne survivaient pas !

En janvier 2019, j’ai décidé de fonder l’Amavea, l’Association des Victimes de Méningiomes dus aux Médicaments, qui a été agréée cet été par le ministère de la Santé.

Selon une étude menée par l’ANSM, on est 500 à avoir souffert de tumeurs à cause de l’Androcur. Mais je suis convaincue qu’on est beaucoup plus nombreuses que ça. Des neurochirurgiens m’ont appelée pour me dire qu’ils opéraient chaque semaine des femmes qui avaient eu ce problème !

Il me reste quatre tumeurs dans le crâne. L’une d’entre elles faisait pression sur mon nerf optique, mais depuis que je ne prends plus d’Androcur, elle a régressé. Mon neurochirurgien a décidé de les laisser tant qu’elles ne me gênent pas, pour m’éviter une autre opération très lourde. Certaines femmes en sont mortes. D’autres ont fait des AVC. Celles qui s’en sortent ont leur vie complètement changée. Beaucoup ont divorcé. Elles ne peuvent plus travailler à plein temps.

« Ce n’est pas un cancer », mais…

J’étais analyste financière, ce qui suppose d’avoir le cerveau affûté, j’ai dû me mettre en retraite anticipée car mes troubles cognitifs étaient trop importants. Je touche maintenant une pension de moins de la moitié de mon ancien salaire. Certes, ce n’est pas un cancer, comme l’avait souligné sans tact l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn. Mais notre qualité de vie est très dégradée.

Les femmes touchées ont en moyenne entre 40 et 50 ans. Les effets indésirables peuvent apparaître au bout de six mois de prise d’Androcur. Plus on le prend longtemps, plus on a un risque de développer un ou plusieurs méningiomes. Mais on ne sait pas encore pourquoi certaines femmes font des tumeurs et d’autres non. Je fais partie des plaignantes qui ont déposé un recours contre le laboratoire Bayer.

J’aurais aimé avoir le choix. Si j’avais su qu’il y avait des effets indésirables aussi importants, j’aurais insisté pour avoir une ablation de l’utérus et des ovaires, ce qui m’aurait évité la prise d’Androcur.

L’Androcur n’a pas été interdit à la vente en France, ce qu’à titre personnel je regrette. Dans l’association, nous n’étions pas toutes du même avis, mais je me rends compte aujourd’hui qu’une interdiction aurait été un message fort, d’autant que certains pays ont choisi de ne pas commercialiser ce médicament, dont les indications thérapeutiques sont très restreintes. Il y a donc des intérêts qui m’échappent. En tout cas, ce ne sont clairement pas ceux des patientes. »

Alerte sur l’Androcur

L’acétate de cyprotérone (molécule de l’Androcur et de ses génériques) est une spécialité en vente depuis 1980 et commercialisée aujourd’hui par laboratoire Bayer. Son autorisation de mise sur le marché (AMM) concerne l’hirsutisme sévère (pilosité excessive) chez la femme, le cancer de la prostate chez l’homme et le traitement des pulsions sexuelles des pédocriminels. Mais l’Androcur a longtemps été prescrit hors AMM comme contraceptif, contre l’acné et pour soigner l’endométriose.

Selon une étude conduite par l’Assurance maladie, l’Androcur a provoqué des tumeurs au cerveau chez au moins 500 femmes de 2006 à 2015. Depuis 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament demande aux professionnels de santé d’informer leurs patientes du risque accru de méningiome provoqué par la prise de ce médicament. L’ANSM a également émis une alerte au sujet de molécules très proches : l’acétate de nomégestrol (Lutényl et génériques) et l’acétate de chlormadinone (Lutéran et génériques), qui augmentent elles aussi le risque de méningiome.

Propos recueillis par Bérénice Rocfort-Giovanni

Lien vers le site ici