Article très intéressant de la revue #Prescrire sur le #Mediator.
#Androcur (et #Lutéran #Lutényl) #Médiator, mêmes années mêmes conséquences, sur la pharmacovigilance et le rôle de l’Agence dans ces deux dossiers.
Les études épidémiologiques sont là pour ces 3 médicaments, et pourtant de nombreux gynécologues nient encore le risque, malgré les efforts d’Alain Weill, d’EPI-PHARE, et d’Isabelle Yoldjian de l’ANSM Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et bien sûr du Pr Sebastien Froelich.
Que faut-il comme autre preuve pour que les gynécologues écoutent et adaptent leurs pratiques ? (à part ce qui est mis en place par l’ANSM Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui a appris depuis le Médiator, et même si la pharmacovigilance reste très imparfaite).
Extraits :
Un défaut de curiosité et de distance critique vis-à-vis des données de la firme
Au sujet de Mediator°, pendant des années, l’Agence et ses experts se sont reposés sur les seules données de la firme Servier, sans les mettre en doute ni s’interroger sur leurs limites. Une posture d’autant plus problématique que la firme n’a pas partagé toutes ses connaissances sur Mediator°.
Une confiance quasi aveugle dans les données de la firme. Initialement, l’information sur un nouveau médicament est détenue par la firme qui l’a développé. Selon une procureure, la firme Servier aurait dû transmettre à l’Agence tout document en sa possession sur le benfluorex, à tout le moins lors des renouvellements d’AMM (en 1997, 2002, 2007). La firme ne l’a pas fait. Elle a soutenu au procès qu’elle ne devait légalement fournir que les données en lien avec l’indication qu’elle demandait, et qui n’était pas la perte de poids. Mais, comme l’a noté un avocat des victimes, était-il possible pour l’Agence de faire « de la pharmacologie dans le brouillard », c’est-à-dire sans connaître les taux sanguins de norfenfluramine, métabolite commun à Mediator°, Pondéral° (fenfluramine) et Isoméride° (dexfenfluramine), deux autres anorexigènes de la même firme retirés du marché en 1997 en raison de leurs effets indésirables ?
Une représentante du CRPV chargé d’enquêter sur Mediator° a admis : « Le laboratoire nous a dit qu’il n’y avait pas de similitude [de Mediator° avec Isoméride° et Pondéral°], on a cru le laboratoire. » Elle dit avoir supposé que la firme avait transmis toutes les informations, et reçu cette documentation « avec confiance ». Selon le représentant de l’Agence au moment du procès, les données de la firme ont été transmises à l’Agence par ce CRPV sans être analysées. « Ce qui a manqué, c’est une analyse critique au sein de l’Agence », a-t-il reconnu. Il est apparu que l’enquête de pharmacovigilance, présentée au procès comme médiocre, n’avait fait que colliger des notifications. Un représentant du CRPV en question l’a admis : « Nous n’avons pas investigué scrupuleusement ».
Il n’a pas été procédé à une recherche exhaustive de documents, même publics, sur Mediator°, et aucune bibliographie n’a été jointe au rapport du CRPV. Pourtant, une étude montrait déjà en 1971 que le benfluorex est en partie métabolisé en norfenfluramine chez l’homme. De son côté, devant le tribunal, Irène Frachon a cité des copies de publications scientifiques des années 1970 que lui avait remises Prescrire. Un inspecteur général des affaires sociales, cité comme témoin, a indiqué que de la documentation existait, même si elle n’était pas aisément accessible.
Interrogé sur le manque de perspicacité des autorités du médicament en France (contrairement à d’autres pays comme la Suisse) sur le caractère amphétaminique anorexigène de Mediator°, Jean-Michel Alexandre a rétorqué que les experts de l’époque ne pouvaient être « extralucides ». Être simplement lucide aurait pourtant suffi à au moins s’interroger sur la nature de cette substance proche d’autres anorexigènes. Des mois de procès n’ont pas suffi à dissiper le mystère sur un tel manque de clairvoyance de la part de ce pharmacologue décrit unanimement comme brillant et qui a affirmé, à l’audience, être à cette époque « l’un des meilleurs ». Un ancien vice-président de la Commission d’AMM a, lui, regretté avoir été « laxiste et incompétent » au sujet de Mediator°.
Une fascination pour l’innovation médicamenteuse. Certains experts de l’Agence ont fait montre d’une admiration pour les médicaments et les nouveautés, par exemple : « Il y a tellement de médicaments. Et des beaux médicaments » ; « Les gens viennent [en commission d’AMM] car il y a un nouveau produit, c’est ce qui les intéresse ». De même, justifiant sa trajectoire dite de pantouflage du public vers le privé, un expert a expliqué avoir voulu « passer de l’autre côté » en quittant l’Agence, pour à son tour développer des médicaments plutôt que de les évaluer. Cet attrait pour la nouveauté ne s’est-il pas exercé au détriment d’une vigilance sur les risques ?
Un défaut de réflexion globale sur le médicament
Pour retirer Mediator° du marché plus tôt, il aurait fallu, selon des expressions employées lors du procès, faire « le rapprochement » entre diverses informations, « reconstituer le dossier », ou encore recoller « toutes les pièces » du « puzzle », parmi lesquelles : en pharmacovigilance, des notifications d’effets indésirables certes en apparence rares mais graves ; en pharmacologie, le caractère prévisible des effets du benfluorex en raison de sa proximité avec la fenfluramine (ex-Pondéral°) et la dexfenfluramine (ex-Isoméride°), de la même firme Servier. Un puzzle pas si compliqué, en fait, dont la résolution aurait permis d’exercer le principe de précaution, en raison du seul soupçon de dangerosité ; le bénéfice de ce médicament pour le patient étant mal établi dans ses indications, pourquoi lui faire courir le moindre risque ?
Des cloisonnements institutionnels et entre domaines d’expertise. À l’Agence, la Commission d’AMM, en charge d’analyser les bénéfices des médicaments, primait sur la Commission nationale de pharmacovigilance, qui en étudiait les risques. Dans les années 1990, les réunions communes aux membres de ces deux commissions n’étaient pas dans la culture de l’Agence. Certains acteurs ont relativisé ce cloisonnement, telle une ancienne cheffe du Département de pharmacovigilance, qui a toutefois précisé : « Il a pu arriver qu’on n’ait pas tous les éléments groupés. » Une fois la synthèse faite, il revenait au directeur général de prendre une éventuelle décision.
Ce cloisonnement, dans certains cas exacerbé jusqu’à la rivalité, existait aussi entre domaines d’expertise : pharmacologie, toxicologie, pharmacocinétique, clinique, épidémiologie, etc. L’un des experts, interrogé sur les propriétés pharmacologiques de Mediator°, a indiqué : « La toxicité se manifeste cliniquement sur le système valvulaire cardiaque, et moi, désolé, je ne suis pas médecin, je ne sais pas diagnostiquer une HTAP, je travaille sur les cultures cellulaires ». Un autre expert a indiqué qu’il n’était pas pharmacologue et ne pouvait donc pas connaître la parenté chimique de Mediator° avec Isoméride° et Pondéral°.
Un avocat de la Sécurité sociale a fait remarquer que, pour reconnaître la toxicité d’un médicament, la firme attendait des preuves formelles du mécanisme conduisant à des effets indésirables, alors que des signaux épidémiologiques pouvaient déjà être pris en compte. Selon l’analyse d’une procureure, l’Agence a fait montre d’une conception étriquée de la pharmacovigilance, basée quasi exclusivement sur les notifications d’effets indésirables, avec l’obsession du « cas pur » et le dogme de la preuve absolue. Une vision globale et transversale du médicament a fait défaut.
Un représentant de l’Agence a reconnu un manque de « bon sens médical, c’est-à-dire tourné vers le patient ».
Des signaux de pharmacovigilance considérés à tort comme rassurants. La sous-notification habituelle des effets indésirables des médicaments par les professionnels de santé a sans doute été accentuée dans le cas de Mediator°. En effet, les risques de valvulopathie et d’HTAP, même quand ils ont commencé à être connus, n’ont pas été rendus publics dans le résumé des caractéristiques (RCP), pas plus que la parenté chimique du benfluorex avec d’autres anorexigènes. Cette absence d’information n’a pas aidé à faire le lien entre une valvulopathie ou une HTAP, relativement rares et pouvant pour la seconde se manifester des années après le traitement, et la prise de Mediator°. À l’époque, cette prise était considérée par nombre de soignants et de patients comme inoffensive, voire banale.
Sur le plan matériel, de façon anecdotique mais révélatrice, pour la notification du cas de valvulopathie repéré par Georges Chiche en 1999, le logiciel informatique utilisé par le CRPV de Marseille ne comportait pas l’intitulé « insuffisance aortique ». Ce cas a alors été saisi par le CRPV comme « insuffisance mitrale » dans son intitulé. Or, comme l’a expliqué à l’audience le cardiologue, une insuffisance mitrale pouvait être rattachée à un infarctus qu’avait eu le patient, ce qui pouvait « dédouaner » alors un lien possible avec Mediator°.
D’après plusieurs témoignages, quand, malgré ces obstacles, des effets indésirables étaient notifiés, le fonctionnement du système de pharmacovigilance a davantage consisté à exclure les cas qu’à les retenir. Le doute bénéficiait à la protection de la firme et de son médicament et non à celle des patients. Le procès a permis de soulever publiquement diverses questions : à partir de combien de notifications d’effets indésirables d’un même médicament faut-il s’inquiéter, considérer les faits comme un signal à évaluer, et lancer une étude épidémiologique ? Faut-il d’ailleurs un nombre minimal de notifications ? Comment mettre ces effets indésirables en perspective avec les bénéfices attendus ? Ne faudrait-il pas considérer comme des notifications d’effets indésirables les plaintes de patients devant une juridiction civile ?
Le raisonnement pharmacologique par analogie ignoré à tort. Le benfluorex présentant une parenté chimique avec la fenfluramine et la dexfenfluramine, un raisonnement pharmacologique aurait dû susciter une alerte. Jusqu’à preuve du contraire, il est prudent de considérer qu’un nouveau médicament expose, a priori, au moins aux effets indésirables des médicaments du même groupe pharmacologique. Les autorités suisses, par exemple, avaient suivi ce raisonnement dès 1996, et elles avaient interrogé la firme sur ce point. En 1998, celle-ci avait préféré renoncer à demander une autorisation dans ce pays pour sa spécialité à base de benfluorex.
Selon le représentant de l’Agence française au procès, ce raisonnement par analogie aurait pu être mené en France dès 1999, en raison des données alors adressées par la firme à l’Agence. De même, le suffixe -orex, propre aux anorexigènes, et retenu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la dénomination commune internationale (DCI) benfluorex à sa création en 1971, « aurait pu faire dresser l’oreille », selon un pharmacologue. Mais à l’époque, les substances étaient plutôt désignées, notamment par les professionnels de santé, sous leur nom commercial que sous leur DCI. Il est à noter que la firme a cherché, sans y parvenir, à faire modifier le suffixe -orex auprès de l’OMS en 1973. Et, comme l’a souligné une procureure, elle a “positionné” le benfluorex dans le diabète plus que comme coupe-faim.
Plusieurs experts ont connu relativement tôt la proximité de Mediator° avec d’autres anorexigènes amphétaminiques. Mais « nous n’avions pas l’habitude de réfléchir par famille », a indiqué l’un d’eux. « On s’est beaucoup attachés à ses indications et pas à sa pharmacologie », a expliqué une ancienne responsable du Département de pharmacovigilance de l’Agence. Aux dires d’une autre témoin, ancienne cheffe de la pharmacovigilance de l’Agence, il semblait que les métabolismes de la norfenfluramine et du benfluorex étaient différents. De façon plus confuse encore, un ancien expert externe, aussi consultant pour la firme, a distingué le médicament Mediator°, « qui a une AMM, une posologie, une formulation, un mode d’administration » du « principe actif benfluorex ».
La firme, elle, a prétendu à l’audience qu’un raisonnement par analogie pharmacologique n’était « pas scientifique ». Une note diffusée en 1999 par l’ancien numéro 2 de la firme, Jean-Philippe Seta, affirmait : « Mediator° se distingue radicalement des fenfluramines tant en termes de structure chimique et de voies métaboliques que de profil d’efficacité et de tolérance ». « C’est la vérité de chez Servier », a commenté son avocat au procès. Selon la défense, il s’agissait d’éviter un mésusage de l'”anti-diabétique” Mediator° comme coupe-faim, et non de dissimuler sa vraie nature anorexigène. Une procureure a en tout cas qualifié de mythe, voire de mystification, cette volonté de distinguer Mediator° de Pondéral° et d’Isoméride°, de la même firme Servier.
Article sur le site de PRESCRIRE ici :
https://www.prescrire.org/Fr/218/1902/61199/0/PositionDetails.aspx
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