Les pilules progestatives Lutéran, Lutényl et leurs génériques augmenteraient le risque de développer une tumeur du cerveau. Afin d’établir de nouvelles recommandations pour les professionnels de santé et les patientes, l’ANSM a programmé une consultation publique sur YouTube le 2 novembre prochain. En attendant, des femmes s’interrogent : se sont-elles mises en danger ?
« J’ai cru à une fake news et quand j’ai vu que ça prenait de l’ampleur, j’ai commencé à m’inquiéter ». Léa*, sous Lutéran depuis trois ans, comme des milliers d’autres femmes, a appris il y a seulement quelques semaines sur les réseaux sociaux que sa pilule pouvait entraîner un sur-risque de développer un méningiome, une tumeur du cerveau, bénigne dans la plupart des cas. Aujourd’hui, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) estime à 600 000 le nombre de femmes exposées tous les ans au Lutéran, Lutényl et leurs génériques. « Ce traitement peut se prendre à différents moments de sa vie hormonale », précise l’Agence à NEON. Ces deux médicaments progestatifs, c’est-à-dire sans œstrogène, sont notamment indiqués dans des cas de troubles gynécologiques tels que l’endométriose, le fibrome, les règles douloureuses ou encore en pré-ménopause.
L’étudiante de 24 ans a eu le bon réflexe : appeler sa gynécologue sans attendre. « Je suis tombée sur la secrétaire, elle avait l’air un peu débordée », poursuit la jeune femme originaire de Paris. « Elle m’a expliqué qu’elle n’arrêtait pas de recevoir des appels de patientes et que ma gynécologue allait me rappeler ». Ce qu’elle a fait le lendemain. « Elle m’a immédiatement expliqué que je ne faisais pas partie des patientes les plus à risques comme j’ai moins de 35 ans et que je suis sous Lutéran depuis moins de cinq ans », raconte Léa.
« Le risque de méningiome était connu »
D’après l’étude épidémiologique à l’origine de l’alerte, réalisée par le groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE constitué par l’ANSM et la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam), publiée en juin 2020, une femme qui prend du Lutéran ou Lutényl, pendant plus de six mois, a environ 3,3 fois plus de risque de développer un méningiome. Le risque augmente en fonction de la durée du traitement et l’âge de la patiente : sous Lutényl, le risque est multiplié par 12,5 à partir de cinq ans de traitement et par 7 sous Lutéran après 3,5 ans, selon les résultats de l’étude menée sur plus de 3 millions de patientes.
« J’ai totalement confiance en ma gynécologue », poursuit l’étudiante. « Elle a toujours été très à l’écoute et je pense que si j’avais eu besoin d’un rendez-vous en urgence, elle me l’aurait dit ». Même si la médecin n’était pas très inquiète, Léa a tout de même décidé d’arrêter Lutéran, par précaution et pour rassurer ses proches, très anxieux. « J’attends mon rendez-vous en décembre, le résultat de mon IRM (prescrite par sa gynécologue, ndlr) avant de m’inquiéter, je n’ai pas envie de me pourrir la vie ».
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Même son de cloche pour Julie, 22 ans, souffrant d’endométriose : « Quand j’ai appris la nouvelle, forcément j’ai eu une petite montée de stress et puis je me suis dit que je ne prenais Lutéran que depuis un an. En terme de risque, on n’était pas sur quelque chose de très dangereux ». A la différence de Léa, Julie est au courant du sur-risque de méningiome depuis longtemps. En effet, l’ANSM alerte depuis début 2019 sur les risques des molécules acétate de chlormadinone et acétate de nomégestrol, présentes dans les deux pilules et leurs génériques. « Le risque de méningiome était déjà connu pour Androcur (autre progestatif, « grand-frère » de Lutéran et Lutényl, ndlr), et est inscrit dans la notice depuis 2011 », précise l’ANSM à NEON. Constat qui n’a pas été fait pour Lutéran et Lutényl, pourtant de la même famille, et ce, jusqu’en février 2019 : « une lettre a été adressée aux professionnels de santé afin de les informer du risque potentiel, et à ce stade encore non vérifié, de méningiome (pour ces deux médicaments) », poursuit l’ANSM. Le lien est désormais connu et mesuré depuis l’étude EPI-PHARE publiée en juin. On comprend mieux pourquoi aucune des femmes que nous avons interrogées n’a été prévenue par son gynécologue de cet effet secondaire possible.
« Je ne dormais plus, pour moi, j’étais atteinte »
« En avril 2019, j’ai fait le tour des pharmacies, car Lutéran était en rupture partout et personne ne m’expliquait pourquoi », se rappelle Murielle, la mère de Julie, qui suit le même traitement hormonal. « On me baratinait un peu, on me disait “ça a dû changer de laboratoire” ou “il n’y a plus la molécule” ». Un jour, une pharmacienne l’informe finalement que sa pilule est retirée du marché et qu’elle doit contacter sa gynécologue. « A notre rendez-vous, elle m’a dit d’emblée : “oui, il y a un risque de méningiome” ».
Un choc pour la femme de 51 ans, sous Lutéran depuis 26 ans : « J’étais un zombie. Je ne dormais plus, j’étais très angoissée. Pour moi, c’était sûr que j’étais atteinte. » Sa nouvelle gynécologue depuis un an, « qui ne connaissait pas bien son dossier », n’a pas aidé. « Elle ne m’a pas posé les bonnes questions, je pense qu’elle a minimisé les risques, car je n’avais pas de symptômes », regrette Murielle, qui a dû lui demander une ordonnance pour une IRM. A l’inverse, Julie estime qu’elle a été très bien suivie. « Elle m’a bien exposé le bénéfice/risque au téléphone et m’a prescrit une IRM, explique l’étudiante. Elle m’a également affirmé que je pouvais garder ma pilule si elle me convenait, car dans mon cas, il n’y avait pas beaucoup de risques. » La mère et la fille ont finalement choisi d’interrompre leur traitement même si leurs IRM n’ont pas montré de tumeur.
Le Lutéran ne sera plus commercialisé
« Développer un méningiome n’est pas systématique », rassure Isabelle Yoldjian, cheffe du pôle gynécologie de l’Agence nationale de santé et du médicament, dans un entretien pour 20 Minutes. « Le méningiome est une tumeur qui est le plus souvent non-cancéreuse mais elle peut être à l’origine de troubles graves pouvant nécessiter une intervention chirurgicale lourde et à risque », précise l’ANSM au téléphone. « Les femmes doivent s’alerter, poser des questions à leurs médecins, c’est normal qu’elles s’inquiètent. » L’ANSM a d’ailleurs communiqué des recommandations préliminaires pour les patientes et les professionnels de santé, telles que consulter son médecin, demander une IRM – en cas de symptômes ou si la patiente a plus de 35 ans et prend la pilule depuis au moins cinq ans – et réévaluer la pertinence du traitement.
Depuis l’étude, l’arrêt de commercialisation de Lutéran a été annoncé, même si cela concerne seulement le princeps, soit 30 % du marché, et non les génériques, précise l’ANSM. Il est toutefois possible que certaines patientes continuent de trouver du Lutéran. S’il n’y a pas de rappel de lots, les pharmacies iront jusqu’à l’écoulement des stocks.
Après le stress d’un sur-risque de tumeur vient l’angoisse d’un changement de pilule. Et pour cause, trouver un traitement hormonal qui nous correspond est tellement compliqué que quand c’est le cas on aimerait ne jamais s’en séparer. « Je ne sais pas ce que ma gynéco va pouvoir me prescrire », confie Léa qui a peur d’un dérèglement. « Lutéran c’était un peu mon dernier recours en terme de contraception ».
*Le prénom a été changé
Article en ligne : https://www.neonmag.fr/pilules-luteran-lutenyl-et-risque-de-tumeur-faut-il-sinquieter-561276.html
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