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Méningiomes après exposition à l’acétate de cyprotérone (Androcur): Rapports de cas chez des sœurs jumelles

études androcur méningiome

Abréviation
IRM imagerie par résonance magnétique
TRAF7 Facteur 7 associé au récepteur du TNF

Introduction

Le méningiome est la tumeur intracrânienne la plus fréquente, survenant principalement chez les femmes et développée à partir des cellules méningo-arachnoïdiennes [1]. La présence de récepteurs hormonaux dans les méningiomes est bien établie, avec une prédominance des récepteurs de la progestérone [2]. Des altérations génétiques ont également été signalées chez les patients atteints de méningiomes [3-5]. Récemment, l’acétate de cyprotérone, un progestatif de synthèse aux propriétés anti-androgènes (indiqué en France dans l’hirsutisme majeur chez la femme) a été associé à un risque de méningiome dose et temps dépendant [6]. Depuis 2018, en France, une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale systématique inexposée est recommandée par les autorités sanitaires françaises [7].

Cependant, le rôle des facteurs génétiques dans la survenue de méningiomes après exposition à l’acétate de cyprotérone reste discuté. Nous avons rapporté 2 cas de méningiomes chez des sœurs jumelles homozygotes de 35 ans exposées à l’acétate de cyprotérone, au lévonorgestrel et à l’éthinylestradiol.

Rapport de cas 1

Trois méningiomes frontaux ont été diagnostiqués chez une femme asymptomatique. La patiente a été exposée à l’acétate de cyprotérone pour l’hirsutisme (50 mg/jour) et à une contraception oestroprogestative contenant du lévonorgestrel et de l’éthinylestradiol (respectivement 50 μg/30 μg pendant 6 jours ; 75 μg/40 μg pendant 5 jours et 125 μg/30 μg pendant 10 jours). L’hirsutisme était stable depuis l’adolescence sans notion d’hirsutisme de haute sévérité et diminuait légèrement avec l’acétate de cyprotérone.

L’acétate de cyprotérone a été pris pendant 8 ans et arrêté 6 mois avant le diagnostic du méningiome et la contraception oestroprogestative a été prise pendant 7 ans et arrêtée le jour de l’IRM cérébrale. Les résultats d’imagerie ont montré un méningiome frontal droit de 35 mm de large et deux méningiomes frontaux gauches (tailles non précisées). Une IRM de contrôle, réalisée 6 mois plus tard, a montré une diminution de la largeur du méningiome frontal droit (nouvelle largeur : 31 mm) et une stabilité des deux autres. Il n’y a pas eu d’aggravation significative de l’hirsutisme pendant le suivi des méningiomes.

La causalité entre les méningiomes et les médicaments contenant des hormones sexuelles a été évaluée ”plausible” (I2) pour l’exposition à l’acétate de cyprotérone et ”possible” (I1) pour l’exposition au lévonorgestrel/éthinylestradiol selon la méthode française de pharmacovigilance [8].

Rapport de cas 2

Un méningiome frontal a été diagnostiqué chez la sœur jumelle homozygote également asymptomatique. Elle a été exposée à l’acétate de cyprotérone pour l’hirsutisme (50 mg/jour) et à une contraception œstroprogestative contenant du lévonorgestrel et de l’éthinylestradiol (respectivement 50 μg/30 μg pendant 6 jours ; 75 μg/40 μg pendant 5 jours et 125 μg/30 μg pendant 10 jours). L’hirsutisme était stable depuis l’adolescence sans notion d’hirsutisme de haute gravité et diminuait légèrement avec l’acétate de cyprotérone.

L’acétate de cyprotérone et la contraception œstroprogestative ont été pris pendant 9 ans et arrêtés respectivement un an et deux ans avant le diagnostic du méningiome. La patiente a également été exposée à l’estradiol (2 mg/jour) pendant un an (arrêté 5 mois avant le diagnostic du méningiome) et à la lévothyroxine (100 μg/jour) pendant 11 ans (sans interruption). Une IRM cérébrale systématique a trouvé un méningiome frontal droit de 15 mm de large. Une IRM de contrôle réalisée 6 mois plus tard a montré une diminution significative de la largeur du méningiome (nouvelle largeur : 9,5 mm). Il n’y a pas eu d’aggravation significative de l’hirsutisme pendant le suivi du méningiome.

Le lien de causalité entre les méningiomes et les médicaments contenant des hormones sexuelles a été évalué comme ”plausible” (I2) pour l’exposition à l’acétate de cyprotérone et ”possible” (I1) pour l’exposition au lévonorgestrel/éthinylestradiol et à l’estradiol selon la méthode française de pharmacovigilance [8].

Discussion

Les méningiomes chez les jumeaux homozygotes sont rares. A notre connaissance, ces rapports sont les premiers publiés chez des jumeaux après une longue durée d’exposition à l’acétate de cyprotérone. Ces deux rapports de cas soutiennent l’hypothèse de susceptibilités génétiques dans la survenue de méningiomes après une exposition à l’acétate de cyprotérone. Le mécanisme physiopathologique du développement des méningiomes après l’exposition à l’acétate de cyprotérone s’explique généralement par la présence de récepteurs hormonaux sur les méningiomes et plus fréquemment ceux de la progestérone [9].

L’exposition à long terme à 50 mg/jour d’acétate de cyprotérone et la diminution de la largeur des méningiomes après l’arrêt de ce médicament renforcent cette causalité. Le lévonorgestrel et l’éthinylestradiol ont également été suspectés même si la faible dose d’exposition suggère une implication moindre dans le développement des méningiomes. La diminution de la taille des méningiomes chez les deux jumeaux après l’arrêt des médicaments hormonaux renforce la relation de causalité entre ces médicaments et l’effet indésirable.

Comme toujours, des altérations génétiques ont également été décrites dans les méningiomes [3-5]. Les principales étaient des aberrations du gène NF2 sur le chromosome 22 (3,4), mais d’autres ont été identifiées, comme des mutations du gène du facteur 7 associé au récepteur du TNF (TRAF7) codant pour l’ubiquitine ligase E3 pro-apoptotique [5]. Une relation statistiquement significative entre l’augmentation ou la diminution de l’expression de certains gènes et la présence du récepteur de la progestérone a été trouvée dans l’étude de Claus [3], principalement des gènes situés sur le bras long du chromosome 22 mais aussi sur les chromosomes 2, 3 et 4. Une autre étude [9] a trouvé une fréquence significativement plus faible de mutations NF2 et une fréquence significativement plus élevée de mutations TRAF7 dans les méningiomes associés à la progestérone par rapport aux méningiomes témoins (non stimulés par la progestérone). Des altérations génomiques dans les voies de la Phosphatidylinositol 3-kinase (PI3K) ont également été trouvées associées aux méningiomes sensibles à la progestérone [9,10]. Millis et al. [10] ont montré une surexpression des récepteurs de progestérone dans 33% des cas de tumeurs solides avec mutation de la voie PI3K contre seulement 13% dans les cas de tumeurs solides sans mutation de la voie PI3K.

En raison de la taille et de la localisation des méningiomes chez les deux sœurs, aucun traitement chirurgical n’a été nécessaire et aucune analyse génétique n’a pu être effectuée. Cependant, l’apparition simultanée de méningiomes après une exposition similaire à l’acétate de cyprotérone (dose et durée d’exposition) chez ces deux sœurs jumelles homozygotes suggère qu’une mutation génétique commune pourrait influencer la survenue de cette réaction indésirable au médicament.

En pratique clinique, la découverte d’un méningiome devrait systématiquement conduire à rechercher une exposition à l’acétate de cyprotérone ou à tout autre modulateur direct ou indirect du récepteur de la progestérone.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent qu’ils n’ont pas d’intérêts concurrents.

Références

[1] Wiemels J, Wrensch M, Claus EB. Epidemiology and etiology ofmeningioma. J Neurooncol 2010;99:307—14.

[2] Iplikcioglu AC, Hatiboglu MA, Ozek E, Ozcan D. Is proges-teron receptor status really a prognostic factor for intracranialmeningiomas? Clin Neurol Neurosurg 2014;124:119—22.

[3] Claus EB, Park PJ, Carroll R, Chan J, Black PM. Specific genesexpressed in association with progesterone receptors in menin-gioma. Cancer Res 2008;68:314—22.

[4] Yuzawa S, Nishihara H, Tanaka S. Genetic landscape of menin-gioma. Brain Tumor Pathol 2016;33:237—47.

[5] Clark VE, Erson-Omay EZ, Serin A, Yin J, Cotney J, Ozdu-man K, et al. Genomic analysis of non-NF2 meningiomasreveals mutations in TRAF7, KLF4, AKT1, and SMO. Science2013;339:1077—80.

[6] ANSM. Acétate de cyprotérone (Androcur et ses génériques)et risque de méningiome : publication du rapportcomplet de l’étude de pharmaco-épidémiologie.; 2019.https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Acetate-de-cyproterone-Androcur-et-ses-generiques-et-risque-de-meningiome-publication-du-rapport-complet-de-l-etude-de-pharmaco-epidemiologie-Point-d-information. [Accessed April 27, 2020].

[7] ANSM. Androcur et génériques (acétate de cyprotérone,50 mg et 100 mg) et risque de méningiome : l’ANSM pub-lie des recommandations pour la prise en charge despatients – Point d’information – ANSM : Agence nationalede sécurité du médicament et des produits de santé; 2018.https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Androcur-et-generiques-acetate-de-cyproterone-50-mg-et-100-mg-et-risque-de-meningiome-l-ANSM-publie-des-recommandations-pour-la-prise-en-charge-des-patients-Point-d-information. [AccessedApril 27, 2020].

[8] Miremont-Salamé G, Théophile H, Haramburu F, Bégaud B.Causality assessment in pharmacovigilance: the French methodand its successive updates. Therapie 2016;71:179—86.

[9] Peyre M, Gaillard S, de Marcellus C, Giry M, Bielle F, VillaC, et al. Progestin-associated shift of meningioma mutationallandscape. Ann Oncol 2018;29:681—6.

[10] Millis SZ, Ikeda S, Reddy S, Gatalica Z, Kurzrock R. Landscapeof phosphatidylinositol-3-kinase pathway alterations across19,784 diverse solid tumors. JAMA Oncol 2016;2:1565—73.

Lien vers l’étude : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32418729/

PDF de l’étude : https://amavea.org/wp-content/uploads/Meningiomas-after-cyproterone-acetateexposure.pdf