Je suis psychologue et équicienne, dans le cadre de mon activité professionnelle j’accompagne différentes personnes, principalement des enfants mais aussi quelques adultes qui présentent des handicaps et/ou rencontrent des difficultés émotionnelles, comportementales… Je peux travailler dans le cadre d’entretien « classique » lorsque j’ai ma casquette de psychologue mais je partage aussi mon temps de travail avec des collègues à 4 pattes : poneys, chevaux principalement et mon chien, presque mon ombre.
Un jour de fin d’été 2019, je me rend à la pharmacie du coin pour récupérer le seul traitement au long court que je prend depuis de nombreuses années et que je pense être un contraceptif et un traitement complémentaire pour réguler mes hormones en folie provocatrices d’acné. Là pharmacienne m’explique alors qu’elle ne pourra plus me délivrer l’un des médicaments (celui pour l’acné) sans que je signe une décharge auprès de mon médecin prescripteur. Je prends donc rendez-vous avec mon médecin qui me prescrit un scanner cérébral pour être sûr que tout va bien mais lui et moi prenons alors cette recommandation à la légère. Je me rends en septembre dans le centre d’imagerie médicale passer le scanner, la médecin me demande depuis combien de temps je prends ce médicament…depuis plus de 25 ans…elle contient sa réaction…j’attends dans la salle d’attente puis, réalise subitement que peut être il faudrait que je regarde d’un peu plus prés ce qu’est un méningiome. On m’appelle, la médecin me reçoit, je vois les photos de mon crâne avec une belle lumière que je suppose être inhabituelle ; elle m’explique avec des mots simples ce qu’est un méningiome, que je dois retourner voir mon médecin pour que nous prenions rendez-vous avec un neurochirurgien car j’ai deux méningiomes, celui qu’une profane comme moi ne peut pas louper en regardant l’image et un beaucoup plus petit dont elle me parle rapidement et avec suffisamment de légèreté pour que je finisse moi aussi par le faire passer à la trappe.
J’ai rapidement butté sur les mots chirurgien et opération. Dans mes plans d’habituée à la chirurgie orthopédique, ma prochaine « opération » devait être la pause d’une prothèse sur mes genoux de vieille. Ma dernière opération était alors une ligamentoplastie du genoux gauche en 2010.
Sur l’instant, l’annonce de cette nouvelle opération a totalement occulté la gravité de la situation car pour moi elle représentait un nouveau coup d’arrêt dont j’étais incapable, à ce moment là, de mesurer l’impact sur ma vie et mon métier, sachant qu’étant travailleur indépendant, allait forcément se poser la question financière.
Annoncer un diagnostic n’est jamais anodin, la médecin qui m’a fait la première cette annonce, est restée simple, précise dans ces propos, neutre. Je n’ai pas sollicité plus d’attention parce que je n’en était pas là ; probablement en état de choc. L’annonce s’est confrontée à mon Histoire, personnelle et médicale. J’étais venue seule parce que je n’avais pas envisagé que le scanner aurait un tel résultat. Une fois de retour dans ma voiture, je ne pense pas avoir ressenti autre chose qu’une appréhension à devoir, à mon tour, me mettre dans la posture de celle qui annonce. Informer la famille, les amis…comment, à quel moment…se confronter à leur réaction, répéter l’annonce dans une période où l’inconnu de la situation domine. Tout cela sans mode d’emploi et avec cette idée que nous nous devons d’être forte, rassurante, pour ne pas rajouter de la peine. Recevoir un diagnostic et devoir ensuite l’annoncer aux proches est une histoire individuelle ; il n’y a pas de bonne manière de faire. La difficulté est certainement encore plus grande pour celles qui ont dû l’annoncer à leurs enfants car il y a cet impondérable instinct de protection qui va entrer en jeu : comment les protéger d’une telle annonce. Dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai à plusieurs reprises été consulté ou j’ai moi-même dû informer des enfants de la perte d’un proche…annoncer avec des mots simples, reconnaître que nous ne pouvons pas répondre à toutes les questions, ne pas retenir ses émotions car c’est souvent cette dernière dimension que les parents appréhendent. Masquer ses émotions ne protègent pas les enfants ; cela peut, au contraire accentuer l’inquiétude car les enfants sont des éponges à émotions, ils ont besoin que nous mettions des mots pour ensuite pouvoir faire de même sans crainte de blesser ou d’accentuer le peine du parent malade, l’expression des émotions doit être normalisée pour devenir dicible et éviter que les enfants ne s’enferment dans leur propre ressenti. Notre société de l’image est une société qui a tendance à inconsciemment nous conditionner à masquer, à paraître ; exprimer et extérioriser nos émotions est parfois pris comme un signe de faiblesse alors que ce devrait être le signe d’une force car, à ce moment là, nous nous détachons du regard de l’autre, nous nous acceptons telle que nous sommes. Beaucoup de témoignages sur la page Facebook d’Amavéa font part d’une culpabilité à avoir « craqué » mais aussi d’un ras le bol à devoir être forte, à continuer de porter le quotidien là où justement, il serait temps que quelqu’un prenne le relais. Car le diagnostic est le début d’un long parcours. Pour moi, asymptomatique, il a été le tout premier chapitre d’une nouvelle histoire ; pour d’autres, il s’agit d’une première expérience avec la maladie et/ou il vient donner du sens à des symptômes inexpliqués et parfois mis sous le coup de maladie psychiatrique (notamment dépression sévère ou burn out).
J’ai attendu un mois avant ma première consultation avec mon neurochirurgien. Je ne me suis pas posée la question du choix ; mon médecin traitant a appelé le service de neurochirurgie de la clinique des Cèdres à Cornebarrieux (clinique qu’une de ses patientes venait de fréquenter et vers laquelle sont adressés beaucoup de patients aveyronnais) ; je n’étais pas en mesure de me demander si je devais aller dans le secteur privé ou public, de me poser la question, qui est le meilleur neurochirurgien de la région. Pendant ce mois d’attente, mon médecin craignant que des maux de tête soient les prémices d’une décompensation, j’ai alterné périodes de stress, à l’affût de la moindre douleur ; et périodes de rationalisation, en psychologue consciente des effets du psychisme sur notre corps et de sa capacité à nous rendre malade. Durant cette période, j’ai aussi beaucoup réfléchi aux arguments à donner à mon neurochirurgien pour le convaincre de ne pas m’opérer de suite. Je n’étais pas prête à m’arrêter de travailler, je voulais attendre l’été, période beaucoup plus simple pour moi mais surtout, je n’étais pas prête à me faire opérer.
Cette première consultation (octobre 2019) m’a beaucoup rassuré, car le symptôme que je craignais le plus (les maux de tête) n’était finalement pas pertinent (aussi parce qu’il a pu m’expliquer quelle sensation je ressentirai si le mal de tête était provoqué par mon méningiome). Il était aussi d’accord pour attendre, l’opération était selon lui nécessaire mais en l’absence de symptôme, je suppose qu’il n’y avait pas de notion d’inquiétude majeure. Nous avons donc convenu d’une seconde consultation au printemps 2020 en vu d’une intervention en été.
Personnellement, les seules questions que j’ai posé lors de cette consultation ont tourné autour des symptômes, car ne ressentant rien de particulier j’avais besoin de pouvoir donner un sens à tout ça, le méningiome restait pour moi quelque chose de totalement abstrait. La réponse de mon médecin a été très évasive car il n’y avait, selon lui, pas de symptômes typiques. Je n’avais pas besoin qu’il m’explique comment se déroulerait l’intervention d’un point de vue technique ; il m’a spontanément parlé des risques d’hémorragie, de l’embolisation la veille de l’exérèse pour limiter ces risques, de la poche de sang à mon nom, d’un passage obligatoire en soins intensifs, aussi du fait que mon méningiome était facile d’accès ; mais je n’ai posé aucune question. Là encore, la part individuelle fait son œuvre ; certaines ont besoin de savoir, avec plus ou moins de détail. Nous avons chacune nos propres besoins, il est important de pouvoir poser toutes les questions qui nous traversent la tête sans aucune honte ; c’est à eux d’y répondre, d’adopter cette posture du professionnel non jugeant, d’être attentif et à l’écoute. Nous sommes les victimes. C’est là que pour certaines, se pose la question d’un second avis (ou plus), car il est primordial, au vu de la gravité de la situation d’être en confiance. Les neurochirurgiens sont d’excellents techniciens, parmi les meilleurs sans doute. Ce qui ne garantit pas qu’ils soient de « bons » communicants capables de vous rassurer sur la pertinence de la solution envisagée (chirurgie, radiochirurgie, etc.).
Aussi, en attendant ma seconde consultation, je suis entrée en phase d’auto observation. Chaque jour ou presque, je notais mon ressenti, mes sensations. Les deux indicateurs principaux que je m’étais fixée étant la fatigue et le trouble de l’humeur (symptômes identifiés chez 2 personnes de ma connaissance avant qu’elles ne décompensent puisque non associé à une tumeur cérébrale). Mon activité professionnelle qui nécessite de grandes facultés d’adaptation, et mes connaissances en neuroscience m’ont aussi beaucoup aidé. J’ai décidé que j’avais une hyper-neuro-plasticité, que mon cerveau était capable d’évoluer, de poursuivre son activité malgré la présence d’intrus. Le cerveau est une formidable machine, dont l’énorme potentiel est encore peu connu. Travaillant régulièrement sur des projets de stimulation/ rééducation de potentiels amputés ou altérés ou dont le développement a été perturbé (trouble du neuro-développement, handicap moteur après un accident, etc), je sais que ce fabuleux organe est capable d’améliorer ou retrouver certaines fonctions par un entraînement régulier. La question des émotions est aussi primordiale car l’optimisme est plus porteurs que le pessimisme et les zones de notre cerveau dédiées aux émotions positives et négatives vont aussi se développer en fonction de la place que nous allons donner à chacunes d’elle (étude cerveau Matthieu Ricard). Toutefois, il est important de ne pas confondre ce travail que nous devons faire sur nos émotions avec les injonctions de plus en plus présentes de la pseudo-psychologie positive. L’optimisme se travaille et nécessite d’accepter que nous soyons parfois submergés par nos émotions négatives ; la psychologie positive n’est, pour moi, pas une obligation de ressentir le bonheur mais une acceptation de nos émotions négatives que nous devons parvenir à identifier pour pouvoir les affronter, et petit à petit leur laisser moins de place.
Je suis psychologue pour enfants et adolescents, et équicienne ; c’est à dire que je travaille en partenariat avec des poneys et chevaux pour accompagner des personnes fragilisées et/ou avec des handicaps. Depuis plusieurs années maintenant, je travaille donc quotidiennement auprès d’enfants et adultes atteints de trouble du neuro-développement (trouble du spectre de l’autisme, trouble déficitaire de l’attention, troubles Dys, …), de personnes présentant différents types de handicaps congénitaux ou acquis après un accident, une maladie… Durant mes études de psychologie, ma formation a surtout consisté à intégrer les théories psychanalytiques mais un cours a surtout éveillé mon attention : les neurosciences ; ainsi qu’un livre, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (Editions du Seuil, 1988) du neurologue anglais Oliver Sacks. Ce livre et ces cours m’ont marqué parce que j’y ai découvert l’incroyable monde du cerveau, organe passionnant dans son fonctionnement, ses potentiels, son rôle dans nos perceptions, notre individualité.
Mon activité professionnelle m’a amené à approfondir le processus de neuroplasticité ; l’idée que finalement, rien n’est totalement figé même lorsque le développement du cerveau est terminé, qu’il est capable d’adaptation.
Cette plasticité cérébrale est devenue pour moi une bouée de sauvetage lorsqu’en septembre 2019, une radiologue m’a expliqué que j’avais deux méningiomes dans la tête, dont un volumineux qui nécessiterait certainement une intervention chirurgicale et que je devais donc prendre rendez-vous avec un neurochirurgien.
L’annonce d’un tel diagnostic génère généralement un état de choc, le mot « tsunami » revient régulièrement dans les témoignages des victimes. Nos réactions vont alors varier selon notre histoire personnelle et médicale, notre tempérament, mais aussi, selon la manière dont ce diagnostic est annoncé. Car ce premier interlocuteur qu’est le médecin radiologue, une fois l’annonce faite, pour peu qu’elle ait été abrupte, nous laisse partir avec de nombreuses questions sans réponse, questions qui ne relèvent pas de sa compétence. Alors que l’état de choc n’est pas encore dépassé, nous devons nous inscrire dans une nouvelle et difficile étape qui est de l’annoncer à nos proches. Ce qui implique de trouver les ressources pour réfléchir à la manière d’énoncer, avec en arrière plan, notamment pour celles qui ont des enfants, de vouloir parfois minimiser les risques afin de ne pas transmettre son état de choc. Certaines s’écroulent, d’autres tiennent le coup, au moins extérieurement. Dans ces moments là, on se voudrait forte, on s’imagine que l’on nous veut forte, parfois aussi la situation personnelle exige qu’on le soit.
Ne pas parvenir à être forte dans ces moments-là, prendre le risque que notre souffrance envahisse l’autre, les personnes qui nous sont chères, peut être particulièrement culpabilisant et renforcer la souffrance du diagnostic. La réaction de l’entourage est importante et est probablement aussi liée à l’histoire familiale, amicale. Des évènements aussi importants sont souvent le révélateur de fonctionnement et parfois de dysfonctionnement dans la relation à l’autre. Ils révèlent la solidité d’une relation, la solidarité au sein du groupe familial et/ou amical mais aussi la déception face à ce que nous pouvions imaginer de la qualité de ces relations.
L’annonce du diagnostic est le début du chapitre d’un nouveau roman, les enjeux y sont donc importants. L’accueil des proches peut influencer tout le parcours de surveillance et/ou de soins qui va ensuite s’enclencher.
Etre un proche concerné d’une personne victime peut aussi provoquer un grand malaise : Comment soutenir quand on n’a pas vécu soi même une telle annonce traumatique, comment éviter les maladresses, que dire, que faire, comment gérer sa propre douleur, ses inquiétudes, faire en sorte qu’elles n’aient pas d’impact négatif, comment protéger, etc ? Répondre à toutes les questions qui assaillent l’entourage est complexe car il n’y a pas de mode d’emploi satisfaisant, il n’y a pas une mais plusieurs réponses qui correspondront ou pas à l’histoire, au tempérament de la personne qui veut aider. Chaque action ou parole de l’entourage va aussi, tout au long de ce parcours, se confronter à la capacité de la victime ou du malade à accueillir les tentatives d’aide et de soutien du proche. L’être humain est un être de langage ; d’ailleurs encore aujourd’hui, nous avons tendance à sous-estimer les capacités intellectuelles d’une personne non verbale. Culturellement, nous sommes sollicités depuis notre tendre enfance pour accéder rapidement au langage. Face à une épreuve, nous les psychologues, sommes formés à inciter nos patients à mettre en mots les maux. Le réflexe, lorsque l’on doit consoler et accompagner une personne dans la douleur, est donc de vouloir trouver les mots qui allègeront ou soulageront. Il peut être difficile de trouver les mots ; malgré leur importance, n’oublions pas que les actes aussi peuvent alléger et soulager la peine. Ils vont de la présence bienveillante à l’aide apporté sur la gestion de tâches quotidiennes, parfois anodines.
Christophe André dans son livre Consolations, celles que l’on reçoit et celles que l’on donne (p.125, ed. L’Iconoclaste, 2022) identifie trois piliers à la consolation :
- « La présence (« Je suis là, avec toi, je reste là, je ne te quitterai pas tant que tu auras besoin de moi… »)
- le soutien affectif (« Je t’aime, tu comptes pour moi, et je veux alléger ta peine… »)
- et le soutien matériel (« Je vais te simplifier la vie, de mon mieux… ») »
Chacun(e) d’entre nous a probablement été confronté(e) dans cette épreuve ou dans d’autres, à des consolations maladroites. En fonction de notre état affectif, elles peuvent être difficiles à accueillir mais elles doivent être distinguées des fausses consolations de ceux qui veulent surtout se mettre en avant et des absents, de ces personnes présentes quand tout va bien et qui s’éloignent quand les choses se gâtent. Les maladroits vont s’accrocher, se remettre en question et rester présent malgré nos réactions.
La première consultation avec le neurochirurgien peut être soulageante dans la mesure où elle va permettre de trouver des réponses aux questions que l’on se pose, mais pour certaines, elle créera des doutes, accentuera les peurs. Lorsque il n’y a pas eu décompensation et donc hospitalisation en urgence, elle intervient plusieurs semaines après le diagnostic par le radiologue. Pour ma part, j’ai attendu un mois. Un mois à me poser mille et une question, à (trop) écouter mon corps, à l’affût de symptôme quitte à m’en créer. Mon métier a été un vrai recours car il m’a permis de m’occuper l’esprit, de me concentrer sur autre chose que cette grosse lumière qui apparaissait sur le scanner, de m’appuyer sur mes connaissances et mon expérience pour rationaliser et prendre un peu de distance lorsque l’angoisse arrivait. Durant cette période, le doute peut être constant ; nous passons par différents états émotionnels, nous sommes à fleur de peau. La peur, la colère peuvent revenir en boucle et s’exprimer sans qu’il y ait forcément de lien avec l’élément du quotidien qui va déclencher la manifestation de l’émotion. Certaines auront besoin d’être accompagné (par un psychologue, un psychiatre), pour d’autres il sera trop tôt.
Cette première consultation permet de rencontrer son chirurgien de l’extrême ; mais il est aussi possible que cette rencontre n’est pas vraiment lieu car tout grand technicien qu’ils sont, ils ne sont pas formés à accompagner leurs patient(e)s sur le plan psychologique. Et puis se pose aussi la question du traitement : chirurgie, radiothérapie, radiochirurgie,… Certaines ont besoin de prendre un second avis ; pour se donner du temps, se rassurer, se donner la possibilité d’éviter le traitement le plus invasif, de rencontrer Le médecin qui inspirera confiance, prendra le temps.
Pour moi les choses se sont déroulées en plusieurs temps. La première consultation (octobre 2019) a surtout concerné le plus gros de mes méningiomes (frontal gauche) associé à un kyste péri-lésionnel lui même associé à un œdème péri-lésionnel. Mon cerveau était en souffrance mais en l’absence de symptôme et à ma demande, nous avons convenu d’une deuxième consultation (mars 2020) puis d’une 3ème (septembre 2020) qui amènera à l’exérèse le mois suivant. Cette année, n’a pas été une année d’attente anxieuse car c’est moi qui en ai fait le choix. Elle m’a permis de me préparer mentalement à cette intervention. J’ai intégré un cercle de femmes bienveillantes pour des séances de méditation, fait une sorte d’état des lieux de ma vie personnelle et sociale, j’ai appris à me concentrer sur l’essentiel, à prendre soin de moi. Ce grand moment d’introspection a été soulageant pour moi, m’a suffisamment renforcé pour pouvoir affronter sereinement l’hospitalisation, l’exérèse, les suites post-opératoires. Peut être que ma sérénité a dérouté, peu importe. Car dans ces moment-là, toutes réactions et manières de gérer appartiennent à la personne qui subit ; le jugement n’a pas sa place, l’attention bienveillante est par contre inestimable et parfois nous pouvons avoir besoin d’aller la chercher ailleurs. Je conçois que ça puisse être compliqué à accepter pour les proches, qu’ils puissent se sentir inutiles ; mais la présence d’un proche restera toujours une source de soulagement même s’il n’y a pas de mots ou d’actions permanentes.
Il me reste maintenant le temps de la surveillance, la surveillance post-opératoire et aussi celle du petit méningiome pariétal gauche. L’histoire sans fin.
Durant cette période de traitement, certaines d’entre nous vont avoir besoin de s’accrocher à des données concrètes, à des choses qui peuvent parfois paraître insignifiantes pour l’entourage qui attend surtout que nous survivons. Les conséquences esthétiques (cicatrices, perte de cheveux,etc) viennent souvent au premier plan ; certaines d’entre nous auront besoin d’être informé sur chaque point technique de l’intervention, auront besoin de points de repère sur l’état physique dans lequel elles seront. De nombreuses questions auxquelles il n’est pas toujours évident de répondre, se posent.
Lorsque je lui ai demandé combien de temps allait durer ma convalescence, mon neurochirurgien m’a expliqué que la qualité et la rapidité du rétablissement était fonction de la personne ; comme il a compris que j’étais quelqu’un d’assez actif, il craignait les conséquences qu’un repos forcé pourrait avoir sur mon moral et donc sur mon rétablissement…Lorsqu’il m’a dit que je pourrai reconduire 2 semaines après ma sortie d’hôpital, j’ai pu à nouveau respirer parce que, pour moi, cela signifiait que j’allais être moins dépendante que lors de mes opérations précédentes (chevilles et genoux).
Cet exemple montre comment nos expériences influencent notre perception d’une situation. Pour moi, le Fait rassurant, c’était de pouvoir me projeter sur conduire au bout de deux semaines ; un temps tellement court qu’il m’a permis de me concentrer sur un objectif concret et positif plutôt que sur les risques. Trouver un fait rassurant n’est pas évident et demande une certaine disponibilité mentale qu’il peut être compliqué d’avoir lorsque nous sommes en état de choc. La consultation, les explications du neurochirurgien peuvent aider à dépasser cet état de choc ; c’est peut être à ce moment là qu’une démarche de demande d’aide psychologique peut être entamée par la patiente mais aussi par son entourage, car les proches aussi souffrent.
L’association AMAVEA, dont je n’avais pas connaissance à l’époque, peut aussi jouer un rôle notamment parce qu’elle nous met en relation, elle fait le lien entre nous, nos témoignages peuvent être des sources de soulagement.
Souvent j’ai eu à expliquer à des enfants que j’accompagne dans le cadre de séances d’équicie, pourquoi je devais leur mettre un casque inconfortable sur la tête lorsqu’ils souhaitaient monter à cheval : parce que ce qu’il y a à l’intérieur dirige notre corps, nos émotions, nos intelligences, nos potentiels et qu’il est, encore aujourd’hui irremplaçable. Parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, notre cerveau renferme tout ce que nous sommes ; lorsqu’il est altéré, nous perdons un peu ou jusqu’à beaucoup de nous-même. A partir du diagnostic, nous sommes pris dans un tourbillon qui parfois peut nous empêcher de prendre conscience de ce qui se joue réellement.
Lorsque la gestion technique du méningiome est passée, l’histoire ne s’arrête pas pour autant car le problème n’est pas totalement réglé. Le réveil à la vie nouvelle peut s’avérer tout aussi complexe que le passage du tsunami, car cette vie nouvelle peut être lourde à porter et lourde d’incompréhension chez ceux qui pensent que tout est enfin fini.
La complexité de l’APRES vient déjà de la multitude des situations :
- soit il y a une seule et petite tumeur qui ne nécessite pas de traitement, la victime doit apprendre à vivre avec et avec l’incertitude qu’elle grossisse et la fasse rentrer dans la situation de traitement ;
- soit il y a traitement non chirurgical d’une ou plusieurs tumeurs ;
- soit il y a traitement chirurgical d’une ou plusieurs tumeurs avec exérèse complète ou partielle ;
- il y a aussi les situations de récidive ;
- et celles qui nous confrontent à plusieurs de ces situations.
Quoi qu’il en soit, Après, il y a surveillance probablement à vie ; il y a aussi séquelles physiques pour certaines, et psychologiques probablement pour toutes. Car le diagnostic de méningiome(s) n’a absolument rien d’anodin. Dans l’Après certaines font des dépressions, développent un état de stress post-traumatique.
Les séquelles physiques et psychologiques peuvent ne pas être visibles; 80% des handicaps ne sont pas visibles : troubles de la mémoire, fatigue, troubles de l’humeur…Nécessitant que l’on explique, se justifie…Certaines doivent se défendre pour obtenir une reconnaissance de leur état et pouvoir bénéficier d’une ALD, d’une invalidité…Il y a aussi la question du recours collectif qui oblige à retrouver les dossiers médicaux, à repenser voire peut être aussi revivre ce parcours. Tous ces évènements peuvent contribuer à rendre l’Après difficile. Le traitement n’est pas la fin de l’histoire.
Ma tête est devenue la partie de mon corps qui peut potentiellement déclencher les plus vives réactions émotionnelles : quand des enfants jouent au ballon à côté de moi, j’aimerai le leur enlever des mains par peur qu’il m’atterrisse sur la tête. Même si cette appréhension à me prendre un coup sur la tête est moins importante deux ans après, elle reste présente car je sens et sentirai en permanence les fractures de mon crâne.
Les conditions de survenue de nos méningiomes rajoutent des circonstances particulières. Je ne me suis jamais reconnue dans le terme de malade car je n’ai pas souffert de troubles organiques ou fonctionnels avant mon exérèse et je n’ai pas de séquelles physiques définitives (j’ai souffert de fatigue et d’un déficit attentionnel plusieurs mois après l’opération). Par contre je suis une victime ; victime d’avoir fait confiance.
Étant professionnelle de santé, j’ai très mal vécu l’obligation vaccinale qui est intervenue trop tôt dans mon parcours de soin ; mon appréhension (et le retard que j’ai pris dans la mise en route de mon schéma vaccinal) a alors été prise pour un positionnement antivax alors que j’aurais eu besoin de temps pour évaluer la situation. J’aurais bien flanqué une giffle à l’infirmier qui m’a expliqué de manière assez hautaine, que l’ARN messager était étudié depuis 30 ans, à la place j’ai pleuré. Parfois, nos réactions émotionnelles peuvent générer de l’incompréhension chez ceux qui ne connaissent pas notre parcours ; parfois, même ceux qui savent, oublient et jugent. Ces évènements peuvent rajouter de la douleur dans notre parcours de victime.
En fréquentant la page Facebook de l’association, j’ai réalisé que la terminologie employée est importante mais aussi problématique. La définition même de ce qu’est un méningiome peut être vécu comme une agression ; « tumeur cérébrale bénigne ». Bénin est défini comme « sans conséquence grave »…Lorsque je parle de ma craniotomie ou de mes méningiomes, je dis que j’ai été opérée ou que je vis avec une tumeur cérébrale non cancéreuse. Il n’est pas question de dire que la tumeur va nous tuer mais il n’est pas non plus question de minimiser les risques. Dire que ces tumeurs sont bénignes n’a rien de rassurant, de consolant. La réalité des faits est importante car elle permet une reconnaissance des risques et les conséquences psychologiques potentielles.
Certaines d’entre nous ont aussi ressenti le besoin de leur donner un nom : « habitant » « intrus » … ; le plus volumineux de mes méningiomes est devenu une « mandarine », le plus petit, une « groseille ». Par contre, je ne suis pas sûre que j’aurais accepté qu’une autre personne que moi leur donne ces noms. Il s’agit de Mes méningiomes, de Mon histoire. Il y aussi les thématiques de guerre : avons-nous un combat à mener ? Sommes nous des guerrières ? Devons-nous être fortes, optimistes ? Finalement, il n’y a pas à répondre car il n’y a pas à se sentir obligé de.
Nous avons besoin de pleurer, d’être en colère mais nous avons aussi besoin de moments de bonheur. Un équilibre est à trouver dans cette vie nouvelle, cela peut prendre du temps. Nous sommes des victimes fragilisées à des niveaux différents ; nous avons besoin d’être entouré de manière bienveillante et non jugeante.