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LA DEPECHE- 13 décembre 2021- Lutényl, Lutéran : un nouveau scandale sanitaire en France ?

Un nouveau scandale sanitaire en France ? Lutényl, Lutéran… Le risque de tumeur qui inquiète les femmes

  • Des études ont montré que des traitements progestatifs augmentent les risques de tumeurs cérébrales.
    Des études ont montré que des traitements progestatifs augmentent les risques de tumeurs cérébrales. MaxPPP – pqr
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l’essentiel Les risques de méningiome étaient reconnus depuis douze ans dans le cas de l’Androcur, un progestatif qui a une action antihormonale. Depuis un an, ils sont aussi documentés pour le Lutényl et le Lutéran, deux progestatifs très utilisés par des femmes ayant des problèmes gynécologiques. Après le Médiator et la Dépakine, un nouveau scandale en perspective ?

Patricia, 47 ans, 12 ans de Lutényl, opération avec aphasie, parésie, 8 mois de rééducation après une tumeur du cerveau non cancéreuse mais qui lui a bien « pourri la vie ». Laëtytia, 39 ans, 8 ans de Lutéran, devenue hémiplégique suite à un méningiome…

Les témoignages ne manquent pas sur le site de l’Amavea (1). Des femmes, souvent, qui croyaient avoir trouvé la solution à leurs problèmes gynécologiques avec une molécule miracle, l’acétate de nomégestrol pour les unes, de chlormadinone pour les autres. Deux progestatifs dont on a appris en 2020 qu’ils étaient aussi à risque, en termes de prévalence, que l’acétate de cyproterone (Androcur) qui avait permis de tirer le signal d’alarme en 2009 et de faire figurer le risque de méningiome dans la notice du médicament dès 2011.

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Mais il a fallu attendre une vaste étude épidémiologique, neuf ans plus tard, pour quantifier enfin le risque pour ses cousins, le Lutényl et le Lutéran : une femme qui prend l’un de ces traitements pendant plus de six mois a environ 3,3 fois plus de risque de développer un méningiome par rapport au risque de base, qui peut même être multiplié par 12 en fonction de la durée du traitement, de la dose utilisée et de l’âge de la patiente.

Un choc pour les victimes, mais pas forcément au sein de l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) obligée de mettre les choses en perspective du point de vue bénéfice risque. Un cas de méningiome pour 1 000 patientes sous traitement, ce sont aussi 999 femmes soulagées par un traitement auquel elles sont souvent habituées depuis plusieurs années.

Finalement, l’ANSM rend un premier arbitrage mi 2021

Elle recommande de ne pas utiliser la chlormadinone et le nomégestrol quand le rapport bénéfice risque est défavorable (symptômes liés à la ménopause, aux irrégularités du cycle menstruel, aux douleurs mammaires modérées et dans les usages contraceptifs chez les femmes sans facteur de risque cardiovasculaire).

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Dans les cas de bénéfice risque favorable (mastopathie sévère, hémorragie fonctionnelle, endométriose), elle recommande de pratiquer une IRM quand le traitement est poursuivi au-delà d’un an, en tenant compte du rapport bénéfice/risque individuel. En outre, le médecin doit remettre à la patiente le document d’information et une copie de l’attestation d’information cosignée. Attestation qui doit être présentée en pharmacie pour obtenir le médicament.

Des patientes mieux informées

Autrement dit mesdames, maintenant, vous savez à quoi vous en tenir ! À vous de faire votre choix en conscience ! Une façon de passer la patate chaude aux patientes, pour ce qui est de la prise de risque, et de déresponsabiliser les médecins ?

Les professionnels de santé s’en défendent. D’abord, parce que, même si le risque est accru, il n’en reste pas moins limité. Un cas de méningiome pour 1 000 patientes sous traitement, rappelons-le. Raison pour laquelle l’Amavea ne demande pas l’interdiction de ces deux molécules.

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Ensuite, parce que des patientes mieux informées, ce sont des patientes mieux prises en charge, y compris celles qui n’ont pas eu de chance à l’inquiétante loterie des progestatifs.

« Généralement, un méningiome ne modifie pas l’espérance de vie », assure le professeur Franck-Emmanuel Roux, chef de service du pôle neurosciences au CHU de Toulouse. Mais il peut en altérer la qualité, au moins provisoirement. Aussi, c’est vers un avocat que certaines victimes ont choisi de se tourner depuis un an. Après le médiator et la dépakine, un nouveau scandale sanitaire en perspective ?

(1) Amavea, Association Méningiomes dus à l’Acétate de cyproterone, aide aux Victimes Et prise en compte des Autres molécules. Contact : amavea.org.

Expertise : délibéré le 15 décembre

Mediator, Dépakine, deux scandales qui ont défrayé la chronique ces dernières années. Et à chaque fois, Me Charles Joseph-Oudin était de la partie, du côté des victimes.

Le 3 avril 2019, son cabinet Dante a ouvert un nouveau front contre les laboratoires pharmaceutiques en lançant des procédures judiciaires au nom des victimes de l’Androcur, un progestatif à base d’acétate de cyprotérone.

À ses 150 clients initiaux, d’autres se sont ajoutés quand deux progestatifs supplémentaires ont été pointés du doigt, l’acétate de nomégestrol (Lutényl et ses génériques) et l’acétate de chlormadinone (Lutéran et ses génériques).

« Il n’y a pas d’éléments qui nécessitent une procédure pénale, explique l’avocat. Mais la procédure civile en indemnisation est lancée. Il y a eu un défaut d’information des patientes, alors que les laboratoires et les autorités de santé connaissaient les risques depuis le milieu des années 90 selon nous. »

Le 29 octobre 2019, Me Joseph-Oudin avait obtenu une première victoire en justice quand le tribunal de Bobigny avait ordonné des expertises judiciaires : 35 sont aujourd’hui en cours.

Prochaine étape le 15 décembre 2021, dans deux jours, avec le délibéré qui fait suite à une demande d’expertise pharmacologique générale.

Objectif : établir les liens de causalité entre la prise de ces progestatifs et les méningiomes dont souffrent les victimes. Et peu importe si seulement 1 patiente sur 1 000 a développé une tumeur bénigne du cerveau en prenant une de ces trois molécules. « Le rapport bénéfice risque est très faible et ne méritait pas d’en arriver là », pour Me Joseph-Oudin.

Article original ici : https://www.ladepeche.fr/2021/12/12/nouveau-scandale-sanitaire-en-france-lutenyl-luteran-le-risque-de-tumeur-qui-inquiete-les-femmes-9988404.php?fbclid=IwAR0uYZB_RdgkJ3dzKXTN1vKC9u3ouoWM-K2uCIDl6EvAINUxWekndWK60PY

“Que les femmes qui prennent ces traitements soient bien informées du risque”

  • Emmanuelle Huet-Mignaton a co-créé l'association AMAVEA en 2018.
    Emmanuelle Huet-Mignaton a co-créé l’association AMAVEA en 2018. Emmanuelle Huet-Mignaton
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l’essentiel L’Association méningiomes dus à l’acétate de cyprotérone, aide aux victimes et prise en compte des autres molécules (Amavea) participe au groupe de travail “méningiomes et progestatifs” à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Sa présidente revient sur les objectifs de l’association et les avancées sur le sujet.

Créée en 2018 à la suite d’une étude de pharmaco-épidémiologie diligentée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur le risque de méningiome lors d’une utilisation prolongée de l’acétate de cyprotérone (Androcur et ses génériques), l’association Amavea est forte aujourd’hui d’environ 500 membres.

Elle accueille également des personnes concernées par l’acétate de nomégestrol (Lutényl et ses génériques) et l’acétate de chlormadinone (Lutéran et ses génériques), molécules pour lesquelles une étude épidémiologique publiée en 2020 par l’ANSM a aussi pointé une augmentation du risque de survenue de méningiome.

Sa présidente, Emmanuelle Huet-Mignaton représente l’association au sein d’un groupe de travail “méningiomes et progestatifs” à l’ANSM et réunissant, entre autres, des neurochirurgiens, des gynécologues et des associations de patients. Groupe qui “travaille sur la façon d’informer les patients et les médecins du risque de méningiome avec les progestatifs et réfléchit au devenir de l’utilisation de ces molécules”, nous précise-t-elle. 

Elle nous explique les objectifs de son association et les avancées obtenues.

Qu’est-ce qui a été mis en place dans l’information des patientes concernées par l’acétate de nomégestrol (Lutényl et ses génériques) et l’acétate de chlormadinone (Lutéran et ses génériques) ?

Depuis juillet 2021, une attestation d’information sur les risques de méningiome doit être cosignée par le médecin et la patiente avant de pouvoir aller chercher le médicament à la pharmacie. Ce papier est nécessaire pour que le médicament soit délivré.

On a demandé aussi qu’il y ait un courrier. Toutes les femmes qui ont pris dans les deux dernières années du Lutényl, ou du Lutéran, ou leurs génériques, on ne peut pas remonter plus loin pour des questions d’anonymisation des données, vont recevoir un courrier de l’assurance maladie leur disant qu’elles doivent se tourner vers leur médecin et voir avec lui la marche à suivre. Dans le courrier, il sera indiqué que ces médicaments présentent un risque de développer un méningiome et expliqué surtout ce qu’est un méningiome.

Des médecins ont également reçu, au mois de novembre dernier, un courrier de l’assurance-maladie et de l’ANSM les informant qu’ils ont des patientes qui ont pris ces traitements et qui sont à risque. Il leur est indiqué la marche à suivre et ils ont la liste de celles concernées.

Pourquoi ne pas interdire ces molécules ?

Ce sont des traitements qui sont utiles à beaucoup de femmes. Sur 1000 femmes qui prennent ces traitements-là, il y en a 1 qui risque de développer un méningiome et 999 pour lesquelles le traitement sera utile. Notre but c’est qu’ils soient prescrits quand c’est nécessaire et que les femmes qui les prennent soient bien informées du risque potentiellement grave mais rare. Il ne s’agit pas d’affoler les femmes qui prennent ces traitements mais qu’elles les prennent avec le maximum de sécurité, en toute connaissance.

Maintenant que des alertes et des études ont été faites, des informations partagées, pour quoi vous battez-vous aujourd’hui ?

Il y a beaucoup de travail d’information qui est fait mais on essaie de faire en sorte que moins de femmes possible passent entre les mailles malgré tout ce qui est mis en place. On se bat aussi pour que le mot “bénin” soit banni. Ce mot, les femmes ne le supportent plus. La gravité potentielle des méningiomes n’est pas reconnue. Tous ne sont pas graves mais ça peut détruire une vie, entraîner des séquelles graves. Ne sont pas pris en compte les problèmes de fatigue importante que l’on a quasiment toutes après avoir été opérées, le problème de certains méningiomes tellement mal placés que l’opération fait courir un risque vital donc qui ne sont pas opérés et les femmes restent avec des problèmes importants. Il y a beaucoup de cas différents mais globalement les femmes n’en peuvent plus qu’on leur dise que ce n’est rien et qu’au bout de trois mois elles peuvent retourner bosser. Cela ajoute une charge sur ce qu’on vit. On voudrait que ce ne soit plus minimisé.