« Une grande première pour une agence sanitaire : le principe de précaution va-t-il remplacer la démonstration de la preuve ? ». C’est en ces termes que près d’une dizaine de sociétés savantes de gynécologie* décrivent dans un communiqué commun l’attitude de l’Agence du médicament (ANSM) dans ses recommandations préliminaires sur le risque de méningiome et les progestatifs.
À la suite de la mise en évidence dès 2019 d’un surrisque de méningiome associé à trois progestatifs (Androcur, Lutényl, Lutéran et leurs génériques), l’agence sanitaire a émis le 3 mars des recommandations préliminaires pour d’autres progestatifs, redoutant « un effet classe ».
En attendant les résultats des études Epi-Phare (ANSM, Cnam), le comité scientifique temporaire (CST) de l’agence a appelé à la vigilance pour la prescription de la médrogestone (Colprone 5 mg), de la progestérone 100 ou 200 mg (Utrogestan et génériques), de la dydrogestérone (Duphaston 10 mg) et du diénogest (générique de Visanne 2 mg). Les données sur les cas de méningiome sous progestatifs sont « particulièrement » suggestives d’un rôle de la médrogestone et de la progestérone à 100 mg et 200 mg, « compte tenu de la stabilisation ou la régression tumorale à l’arrêt du traitement », avait souligné le CST.
Sensibiliser à la durée de traitement
Outre la contre-indication en cas d’antécédent de méningiome, l’agence recommande ainsi, avant toute nouvelle prescription ou de changement de progestatif, « de vérifier l’ensemble des progestatifs déjà utilisés et leur durée d’utilisation ». Le traitement doit être prescrit à la dose minimale efficace avec une durée d’utilisation la plus courte possible. La poursuite du traitement doit être réévaluée tous les ans, « notamment aux alentours de la ménopause, le risque de méningiome augmentant fortement avec l’âge », poursuit l’ANSM.
Un appel à la prudence que ne partagent pas les signataires du communiqué, dont le Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) et le Groupe d’étude de la ménopause et du vieillissement hormonal (Gemvi). « Ces recommandations qui concernent tous les progestatifs actuellement remboursés ainsi que la progestérone naturelle ne reposent en effet à ce jour que sur quelques cas rapportés de méningiome en l’absence de toute étude scientifique », soulignent-ils.
Les professionnels s’inquiètent « des conséquences de cette médiatisation » des recommandations préliminaires, « sans aucune évaluation d’un niveau de risque pour les progestatifs désignés (diénogest, dydrogestérone, médrogestone) et sur la progestérone naturelle ».
Prévention du cancer de l’endomètre
Si les gynécologues sont d’accord sur le fait de sensibiliser les professionnels de santé à la durée d’utilisation des progestatifs, ils appellent à cesser « d’inquiéter les femmes sur des “suggestions” de risque non évalué ».
Les signataires rappellent ainsi « le rôle majeur des progestatifs dans la prévention du cancer de l’endomètre et dans le traitement des maladies bénignes gynécologiques », ce qui a permis de diminuer significativement le recours à l’hystérectomie. Et de citer quelques situations « incontournables » de prescription : aide médicale à la procréation ; traitement hormonal de la ménopause associant le 17 bêta-œstradiol et la progestérone naturelle ; hypogonadisme hypogonadotrope ou insuffisance ovarienne prématurée ; syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) afin de limiter l’hyperplasie de l’endomètre ; prise en charge de l’endométriose.
« Tant de situations cliniques laisseraient les patientes sans aucune ressource thérapeutique si ce n’est d’augmenter la prévalence des hystérectomies », font-ils valoir. Les gynécologues, non sans une pointe d’agacement, rapportent par ailleurs que les femmes ayant eu des enfants (« dont le taux de progestérone est multiplié par un facteur 6 à 8 pendant leur grossesse », lit-on) n’ont pas davantage de méningiomes comparativement aux femmes nullipares, selon une étude publiée en avril 2021 dans « Scientific reports », une revue du groupe « Nature ».
*Gemvi (Groupe d’étude de la ménopause et du vieillissement hormonal – Société française de ménopause), le CNEGM (Collège national des enseignants de gynécologie médicale), le CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), la FNCGM (Fédération nationale des Collèges de gynécologie médicale), la SFG (Société française de gynécologie), le CNPGO-GM (Conseil national professionnel de gynécologie obstétrique et gynécologie médicale), le SEUD (Society of Endometriosis and Uterine Disorders), la FFER (Fédération française d’étude de la reproduction) et la SMR (Société de médecine de la reproduction)
Autres presses suite aux recommandations de l’ANSM :
https://francais.medscape.com/voirarticle/3609827
https://www.e-sante.fr/5-progestatifs-identifies-a-risque/diaporama/615604
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