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L’acétate de cyprotérone (ACP-Androcur) et les méningiomes : une étude sur toute la population d’un pays

androcur pr

Étudier les caractéristiques des méningiomes chirurgicaux chez les patientes ayant pris de l’ACP et comparer cette population à un groupe témoin n’ayant pas pris de l’ACP (Androcur).

Charles Champeaux‑Depond1,2 · Joconde Weller3 · Sebastien Froelich1 · Agnes Sartor4

Article original ici

Résumé

Contexte : Étudier les caractéristiques des méningiomes chirurgicaux chez les patientes ayant pris de l’ACP et comparer cette population à un groupe témoin n’ayant pas pris de l’ACP.

Matériels et méthodes  : Nous avons traité la base de données française du Système National des Données de Santé (SNDS) pour retrouver les cas appropriés opérés entre 2007 et 2017.

Résultats : 

  •  1 101 patientes (3,8%) qui avaient l’habitude de prendre de l’ACP et ont subi une chirurgie du méningiome ont été extraites d’une cohorte nationale basée sur la population de 28 924 patients.
  • L’âge médian au moment de la prescription de l’ACP était de 42 ans EI [36,7-48,9]. Le délai médian entre le début de l’APC et la chirurgie était de 5,5 ans EI [3,1-7,9]. L’âge médian au moment de la chirurgie était significativement plus bas chez les patients traités par ACP (47 ans, EI [42-54]) par rapport à la population non traitée par ACP (61 ans, EI [51-70], p < 0,001).
  • La dose médiane d’ACP était de 40 g, EI [19-72]. Il y avait une forte corrélation entre la dose d’ACP et la durée (r = 0,58, 95%CI [0,54-0,62], p < 0,001). La base du crâne moyenne était la localisation la plus fréquente (39%) avec une insertion antérieure de la base du crâne étant également beaucoup plus fréquente par rapport à la population habituelle avec 21,9% de la tumeur.
  • Cette prédominance de la base du crâne pour les méningiomes associés à l’ACP est hautement significative (p < 0,001). L’augmentation de la dose d’ACP a augmenté le risque d’avoir de multiples chirurgies du méningiome (p < 0,001) et de multiples localisations du méningiome (p < 0,001). Le classement des tumeurs n’a pas été modifié par le traitement par l’ACP (p = 0,603).
  • Les méningiomes bénins ou de grade I représentaient 92%, les atypiques ou de grade II 6,1% et les malins ou de grade III 1,9%.

Conclusion Au cours des 10 dernières années, un nombre important de méningiomes induits par l’ACP ont été enlevés, modifiant la pyramide globale de l’âge au moment de la chirurgie pour les patientes. Ces tumeurs surviennent bien avant l’âge habituel et sont localisées préférentiellement sur la base antérieure et moyenne du crâne.

Mots clés Méningiome · Cyprotérone · SNDS · Progestatif · Epidémiologie

Abréviations

 ACP Acétate de cyprotérone

EI Ecart interquartile

1- Department of Neurosurgery, Lariboisière Hospital, 2, rue Ambroise‑Pare, 75475 Paris Cedex 10, France

2- INSERM U1153, Statistic and Epidemiologic Research

Center Sorbonne Paris Cité (CRESS), ECSTRRA Team, Université de Paris, Paris, France

3- Agence Régionale de Santé, 2bis, Avenue Georges Brassens,  CS 61002, 97743 Saint Denis CEDEX 9, France

4- CHU Toulouse, Pole de Gynécologie Obstétrique, Hôpital Paule de Viguier, 31059 Toulouse, France

Introduction

Les méningiomes sont des néoplasmes généralement non malins, à croissance lente, issus des cellules méningothéliales de l’arachnoïde. Ils constituent les tumeurs intracrâniennes extra cérébrales les plus fréquentes, représentant 36,8 % dans le registre central des tumeurs cérébrales des États-Unis [1]. La classification 2016 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des tumeurs affectant le système nerveux central (SNC) reconnaît trois grades de méningiomes [2]. Les méningiomes de grade I de l’OMS, ou méningiomes bénins (MB), surviennent pour deux tiers chez les femmes et ont généralement une bonne évolution [3, 4].

Les méningiomes de grade III de l’OMS ou méningiomes malins (MM) sont des néoplasmes rares et agressifs dont le pronostic est mauvais [5]. Le comportement et l’issue des méningiomes atypiques de grade II de l’OMS (MA) sont intermédiaires [6, 7]. La grande majorité (~ 90%) des méningiomes sont bénins, les formes malignes étant rares, ne représentant que 1 à 3% [1, 8].

Bien que les méningiomes de grade II n’aient été reconnus que dans environ 5 % des cas, après les modifications apportées aux critères de diagnostic dans la classification du SNC de l’OMS de 2007, ils représentent aujourd’hui environ 10 %. Dans la plus récente classification du SNC de l’OMS de 2016, aucun marqueur pronostique moléculaire n’a été introduit pour le classement des méningiomes, qui est toujours basé uniquement sur des critères histologiques sujets à des biais d’échantillonnage et d’observation [2].

Les options de prise en charge comprennent une surveillance régulière, notamment en cas de méningiome incident, le contrôle des symptômes, l’excision chirurgicale, la radiothérapie et parfois la chimiothérapie, mais une résection maximale sûre et adaptée reste le traitement de choix. La plupart des méningiomes sont sporadiques et leur incidence en France est d’environ 5/100 000 personnes par an [3, 4]. Les rayonnements ionisants sont le seul facteur de risque sans équivoque identifié, bien que d’autres aient été suspectés. Des preuves suggèrent l‘influence des hormones sexuelles car les méningiomes sont connus pour être hormonosensibles et expriment généralement des récepteurs de la progestérone (PR). Malgré l’expression abondante des PR, que l’on retrouve dans 88% des méningiomes, on ignore cependant comment l’expression des PR est régulée, d’autant plus que les récepteurs aux œstrogènes sont pratiquement absents de ces tumeurs [9, 10].

Un progestatif est un médicament qui produit des effets similaires à ceux de la progestérone naturelle. Les progestatifs synthétiques ou progestines sont utilisés seuls ou en association avec des œstrogènes, le plus souvent dans la contraception hormonale et l’hormonothérapie de la ménopause. Ils peuvent également être utilisés dans le traitement d’affections gynécologiques, pour favoriser la fertilité, abaisser les taux d’hormones sexuelles à diverses fins, et pour d’autres indications. Des études antérieures suggèrent que l’hormonothérapie pourrait jouer un rôle dans le développement des méningiomes. Parmi toutes les progestines disponibles en France, l’acétate de cyprotérone (ACP) vendu sous la marque Androcur® qui a un effet anti-androgène, progestatif et antigonadotrope est indiqué chez les femmes uniquement dans l’hirsutisme sévère altérant la vie quotidienne. Il a été démontré que l’exposition pendant plus d’un an à de fortes doses d’ACP augmentait le risque de méningiome [11].

Les bases de données médico administratives (BDMA) sont des dépôts massifs de données de santé collectées à des fins diverses. Elles peuvent contenir des demandes de remboursement de frais médicaux, des dossiers de services de santé, des procédures médicales, des prescriptions et des diagnostics. Les BDMA fournissent une variété de données déjà stockées avec un processus de collecte constant et souvent croissant [12]. Elles englobent une très large population et souvent la nation entière, ce qui garantit une puissance statistique élevée sans biais liés à la représentativité d’un échantillon. Les BDMA peuvent être utilisées pour mener des études épidémiologiques et évaluer les pratiques médicales. L’utilisation de ces bases de données est moins coûteuse que la réalisation d’enquêtes spécifiques auprès de populations dédiées en permettant un accès rapide aux données recueillies dans un format standardisé [13].

A cet égard, l’ouverture récente de l’accès au Système National des Données de Santé (SNDS) est une excellente opportunité pour réaliser des études sanitaires complètes au niveau national. Le SNDS comprend de nombreuses informations telles que les données démographiques, les actes médicaux et chirurgicaux avec les diagnostics associés ou la date de décès [13]. Il évolue continuellement vers un enrichissement par des informations médicales [13].

Environ 3 000 patients sont opérés d’un méningiome chaque année en France. Il existe très peu d’études de cohorte portant sur l’ACP et les méningiomes et l’on sait peu de choses sur l’histoire naturelle des méningiomes associés à l’ACP. En utilisant cette base de données unique, nous avons cherché à évaluer la relation entre l’ACP et les méningiomes retirés chirurgicalement car à ce jour, une telle recherche n’a pas été réalisée en France.

Objectif

L’objectif était d’évaluer les caractéristiques des méningiomes opérés chez les patientes ayant pris de l’ACP et de comparer cette population à un groupe témoin plus large n’ayant pas pris d’ACP.

Matériel et méthodes

  • Nous avons réalisé une étude rétrospective descriptive observationnelle et analytique basée sur une population nationale.
  • Les méningiomes incidents jamais opérés n’ont pas été pris en compte dans cette étude ; seules les tumeurs traitées chirurgicalement ont été prises en compte. Les données ont été extraites du Système National des Données de Santé (SNDS), la base de données médico-administrative nationale française.
  • Les patients ayant subi la résection chirurgicale d’un méningiome entre 2007 et 2017 ont été inclus. Les cas ont été extraits à l’aide d’un algorithme combinant deux variables telles que décrites précédemment : le type de procédure chirurgicale identifié par la Classification commune des actes médicaux (CCAM) et le diagnostic principal selon la Classification internationale des maladies (CIM-10) comme décrit précédemment [3, 14, 15].
  • Les méningiomes ont été classés en 8 localisations anatomiques en fonction de leur insertion dans la base durale, après une catégorisation supplémentaire des 40 codes CCAM visant à décrire la résection de tumeurs intracrâniennes extra cérébrales. Les patients de sexe masculin et ceux âgés de moins de 18 ans n’ont pas été pris en compte dans cette étude. Les patients n’ayant eu qu’une prescription d’une boîte d’ACP ont été exclus de cette étude (n = 56).
  • La population féminine ACP a été comparée à une population féminine non ACP plus importante servant de groupe témoin. Les 56 patientes ont été complètement exclues de l’analyse et n’ont pas été transférées dans le groupe témoin.

Méthodes statistiques

Pour la description de la cohorte présentée dans le tableau 1, les variables continues sont rapportées sous forme de moyennes et d’écarts types ou de médianes et d’écarts interquartiles (EI) pour les variables à distribution non gaussienne ; les variables catégorielles sont rapportées sous forme de fréquences et de proportions. Tous les tests étaient bilatéraux et la signification statistique a été définie avec un niveau alpha de 0,05 (p < 0,05). Les analyses ont été effectuées avec le guide SAS Enterprise version 7.15, le langage de programmation et l’environnement logiciel R pour le calcul statistique et les graphiques (R version 4.0.2 (2020-06-22)) [16]. Le programme statistique et le flux de travail ont été écrits en R Markdown v2 avec RStudio® pour une recherche dynamique et reproductible [17].

Résultats

Description de la population

  • 1 101 femmes (3,8%) habituées à prendre de l’ACP et ayant subi une chirurgie du méningiome ont été extraites d’une cohorte nationale basée sur la population de 28 924 patients ayant subi une chirurgie du méningiome entre 2007 et 2017.
  • L’âge médian au moment de la prescription de l’ACP était de 42 ans EI [36,7-48,9].
  • Le délai médian entre le début de l’ACP et la chirurgie était de 5,5 ans EI [3,1-7,9]. L’âge médian au moment de la chirurgie était significativement plus bas chez les patients traités par ACP (47 ans, EI [42-54]) par rapport à la population non ACP (61 ans, EI [51-70], p < 0,001) (Tableau 1 et Fig. 1a, b).
  • Lorsqu’elles étaient disponibles, les indications de traitement étaient, par exemple, un dysfonctionnement ovarien (3,1 %), une endométriose (2,4 %), une hypertrichose (2,5 %), un léiomyome de l’utérus (1,5 %).
  • La dose médiane d’ACP était de 40 g, EI [19-72], ce qui correspond à une durée médiane de traitement de 5,2 ans, EI [2,6-7,7]. 356 patients (32,3 %) ont reçu 60 g d’ACP ou plus. Il y avait une forte corrélation entre la dose d’ACP et la durée. Une longue durée d’absorption de l’ACP était corrélée à une dose élevée d’ACP (r = 0,58, 95%CI [0,54-0,62], p < 0,001).
  • La base du crâne moyenne était la localisation la plus fréquente (39%), l’insertion de la base du crâne antérieure étant également beaucoup plus fréquente par rapport à la population habituelle avec 21,9% de la tumeur. Cette prédominance de la base du crâne pour les méningiomes associés à l’ACP est hautement significative (p < 0,001). (Tableau 1 et Fig. 1d).
  • Une dose d’ACP de 40 g ou plus a augmenté de manière significative le risque d’avoir de multiples chirurgies du méningiome à des moments différents (11,3 %) (p < 0,001) et de multiples localisations du méningiome (17,3 %) (p < 0,001) (Fig. 1f).
  • Si l’ACP a été associée à une modification significative de l’âge au moment de la chirurgie du méningiome et de sa localisation, le classement de la tumeur n’a cependant pas été modifié par le traitement par ACP (p = 0,603). Les méningiomes bénins ou de grade I représentaient 92%, les atypiques ou de grade II 6,1% et les malins ou de grade III 1,9% (Tableau 1, Fig. 1e).

Tableau 1 Caractéristiques des patients (n = 1101)

Variable                             Pas de cyprotérone n = 16 158                    Cyprotérone n = 1 101     p-value

Age chirurgie (continu)a          61, 51–70                                                   47, 42—54                    < 0.001

Classification tumeurs (5 cat.)

< 40 ans                                   1325 (8.2%)                                                217 (19.7%)

< 40 à > 50                              2506 (15.5%)                                               486 (44.1%)

< 50 à > 60                              3828 (23.7%)                                               256 (23.3%)

< 60 à > 70                              4711 (29.2%)                                                112 (10.2%)

> 70                                         3788 (23.4%)                                                 30 (2.7%)                   < 0.001

Emplacement

Convexité crânienne                3817 (23.6%)                                                   254 (23.1%)

Base antérieure du crâne         2038 (12.6%)                                                   241 (21.9%)

Falx cerebri                              1250 (7.7%)                                                      49 (4.5%)

Base moyenne du crâne           3303 (20.4%)                                                   429 (39%)

Parasagittal                               1515 (9.4%)                                                     52 (4.7%)

Base postérieure du crâne        2147 (13.3%)                                                   64 (5.8%)

Epine dorsale                            1977 (12.2%)                                                   11 (1%)                    < 0.001

Classification tumeurs

Bénigne                                         14,940 (92.5%)                                              1013 (92%)

Atypique                                        878 (5.4%)                                                      67 (6.1%)

Maligne                                          340 (2.1%)                                                     21 (1.9%)                                                                       0.6

Dose (g)                                           –                                                                 40, 19–72

Durée (années)                                –                                                                  5.2, 2.6—7.7

Temps entre le début de cyprotérone et chirurgie (années)                            – 5.5, 3.1—7.9

Temps entre la fin de cyprotérone et chirurgie (années)                                 – 0.2, 0—0.8

Arrêt de la cyprotérone avant la chirurgie                                                        – 534 (48.5%)

Arrêt de ma cyprotérone lors du dernier suivi                                                  – 762 (69.2%)

p-les valeurs affichées en gras ont atteint la signification statistique

a Médian et EI Ecart interquartile

Discussion

Principaux résultats

Dans cette étude, nous avons évalué les caractéristiques des méningiomes traités chirurgicalement après traitement par ACP en utilisant la base de données nationale de l’assurance maladie française SNDS. Dans notre cohorte principale de 28 924 patients, la forme bimodale de la courbe pour les patients de sexe féminin nous fait nous interroger sur cette caractéristique inhabituelle non rapportée précédemment dans les études épidémiologiques sur les méningiomes (Fig. 1a) [1, 20, 21].

Il semble que cette caractéristique inattendue puisse être liée aux traitements hormonaux [22]. Weill et al. ont identifié 253 777 femmes qui avaient l’habitude de prendre au moins 3 g d’ACP entre 2007 et 2014 [22]. Les diagrammes de densité de la sous-figure 1b ont confirmé cette suspicion et montrent une distribution des âges au moment de la chirurgie bien séparée et beaucoup plus jeune pour les patientes ayant pris de l’ACP, avec un âge médian au moment de la chirurgie du méningiome inférieur de 14 ans par rapport à la population non ACP (p < 0,001). Une série de 30 cas confirme nos résultats avec un âge moyen au moment de la chirurgie de 50 ans pour les méningiomes induits par l’ACP contre 58 ans pour le groupe contrôlé [23]. L’ACP était la molécule la plus suspectée d’être responsable de ce second pic à 51 ans visible sur la sous-figure 1a.

Deux autres molécules, l’acétate de chlormadinone (Lutéran)  et l’acétate de nomégestrol (Lutényl), également largement prescrites dans la population féminine française, sont également suspectées d’augmenter le risque de méningiome et seront donc étudiées dans un futur proche [24].

Nous avons trouvé un temps médian entre le début du traitement par ACP et la chirurgie de 5,5 ans, EI [3,1-7,9] soit environ 66,1 g d’ACP pour un traitement ininterrompu de 50 mg par jour, 20 jours par mois pendant 5,5 ans. En fait, la dose totale médiane prise par le patient est un peu plus faible (40 g, EI [19-72]) en raison des périodes d’interruption du traitement. Néanmoins, un méningiome ne peut se développer que lorsqu’une dose cumulée suffisante a été atteinte pendant une durée de traitement suffisante.

Pour Portet et al. 86,7% des 30 patients avaient une exposition prolongée de plus de 10 ans et Bernat et al. ont trouvé une durée moyenne d’exposition de 18,6 ans avec une dose moyenne de 40 g [23, 25]. Les patients qui avaient l’habitude de prendre 40 g ou plus d’ACP présentaient un nombre significativement plus élevé de localisations de méningiomes (17,3%) par rapport à ceux ayant pris moins d’ACP (4%, p < 0,001). Cela est également vrai pour une dose de 60 g (21,1 %, contre 5,2 %, p < 0,001) et si l’on tient compte du nombre d’interventions neurochirurgicales (14,3 %) par rapport à ceux qui ont pris moins d’ACP (3,3 %, p < 0,001). Les courbes résultantes sont des fonctions sigmoïdes (Fig. 1f).

Limites

Les points forts du SNDS résident à la fois dans le nombre élevé de patients et dans l’exhaustivité des données disponibles auprès de tous les hôpitaux de France. La représentativité de la base de données est quasi parfaite, puisqu’elle inclut l’ensemble de la population du pays, soit près de 68 millions d’habitants, constituant ainsi l’une des plus grandes BDMA au monde [13].

Cependant, ces données n’ont pas été initialement recueillies à des fins de recherche et elles peuvent donc être sujettes à des erreurs de mesure aléatoires ou systématiques, ce qui peut avoir des conséquences lors de la définition des populations étudiées, des événements et des covariables. Des variables importantes telles que la qualité de la résection ne sont pas enregistrées dans le SNDS [26]. La nature rétrospective de cette étude, ainsi que le manque de clarté concernant les raisons du traitement sans affectation aléatoire, doivent être pris en compte lors de l’évaluation des résultats.

Les études basées sur la BDMA sont construites à partir de ce qui est disponible en elles, ce qui limite parfois les possibilités d’explorer des associations potentielles intéressantes. Malgré ces limites, le SNDS est un outil inestimable pour évaluer le devenir des méningiomes. Il offre un moyen incomparable d’explorer les associations avec d’autres pathologies, médicaments ou traitements combinés qui n’ont pas pu être évalués auparavant. De plus, l’utilisation de ces bases de données est moins coûteuse que la réalisation d’enquêtes spécifiques dans des populations dédiées.

Interprétation

Le rôle des hormones sexuelles dans le développement des méningiomes intracrâniens a été proposé comme une hypothèse pour expliquer la prédominance de ces tumeurs chez les femmes. Bien que ce lien soit suspecté depuis longtemps, il n’a pas été quantifié jusqu’à récemment ; des études épidémiologiques antérieures ayant donné des résultats contradictoires [27]. Wigertz et al. ont été parmi les premiers à trouver un risque élevé de méningiome associé à l’utilisation d’un traitement hormonal substitutif [28].

Un risque accru a été constaté chez les femmes ménopausées ayant déjà utilisé un traitement hormonal substitutif (rapport des côtes (RC) = 1,7 IC 95 % [1,0-2,8]) et chez les utilisatrices de contraceptifs hormonaux à action prolongée depuis 10 ans ou plus (RC = 2,7 IC 95 % [0,9-7,5]) [28].

Le risque de méningiome lié à l’ACP a été suspecté pour la première fois chez des patients transsexuels nécessitant de fortes doses d’ACP [29]. Cea-Soriano et al. ont confirmé l’augmentation significative du risque de méningiome chez trois hommes utilisant de fortes doses d’ACP [27]. D’autres rapports sur des patients transsexuels homme-femme ont confirmé ces résultats [30, 31]. Nota et al. ont conclu que le traitement hormonal transsexuel est associé à un risque plus élevé de méningiomes chez les transsexuelles, probablement lié à l’ACP [32].

Les observations de méningiomes, souvent multiples, chez les utilisateurs de fortes doses d’ACP ont fait naître la suspicion que cette substance pouvait favoriser la croissance rapide de méningiomes préexistants ou nouveaux. On a donc légitimement émis l’hypothèse que si l’ACP stimule le développement de méningiomes, son arrêt devrait conduire à la diminution de la tumeur. Des études de cas de régression de méningiomes après l’arrêt de l’ACP ont confirmé cette idée chez les femmes ou les transsexuels [33, 34].

Il a donc été suggéré que la gestion conservatrice des méningiomes induits par l’ACP pourrait être la meilleure option étant donné que la régression spontanée peut se produire après l’arrêt du traitement, y compris l’amélioration des symptômes [35].

La pratique actuelle en cas de méningiome probable induit par l’ACP est l’arrêt du traitement et la surveillance régulière par IRM (https ://www.ema.europ a.eu/en/news/restrictio ns-use-cypro teron e-due-meningioma -risk) [25, 33-37].

Généralisabilité

L’ACP est indiqué dans l’hirsutisme sévère éventuellement lié à un syndrome des ovaires polykystiques à la posologie de 50 mg par jour. En fait, il a été largement utilisé en France, souvent en dehors de son indication officielle comme par exemple moyen de contraception, traitement de l’acné ou dysfonctionnement ovarien.

Weill et al. ont trouvé qu’environ 80% des prescriptions d’ACP étaient en dehors des indications officielles [22]. On peut supposer que l’ACP était surtout utilisé comme moyen de contraception dans notre cohorte, puisque seulement 14,5 % des patients avaient un diagnostic connexe de problème gynécologique ou endocrinien. L’ACP est également présent en plus petites quantités (2 mg) dans les contraceptifs oraux combinés pour traiter la séborrhée, l’acné, l’hypertrichose et l’alopécie modérée liée aux androgènes. Weill et al. ont trouvé un risque relatif de méningiome de 6,6 IC95% [0, 1, 4, 11] au-dessus de 3 g d’ACP et un effet dose marqué (hazard ratio ajusté = 21,6 IC95% [5, 8, 10, 43]) au-dessus de 60 g [22].

Pour Gil et al. les patients exposés à de fortes doses d’ACP ont montré un risque accru de méningiome de 11,4 95%CI [4,3-30,8] [11]. Bien que l’association entre l’ACP et le développement de méningiomes intracrâniens soit maintenant établie, les mécanismes sous-jacents restent inconnus. On a rapidement remarqué que les méningiomes induits par l’ACP se développaient probablement près de la base du crâne et préférentiellement sur la partie antérieure ou moyenne [29]. Dans notre étude, les méningiomes induits par l’ACP à la base du crâne étaient les plus fréquents (39%), contrairement à la convexité crânienne qui est la localisation incontestablement la plus habituelle dans la population générale avec 23,6% dans l’étude de cohorte principale.

Pour Portet et al. une relation significative lie l’ACP et la localisation de la base du crâne où 86,7% des méningiomes ont été insérés [23]. De plus, Bernat et al. ont suggéré que les patients atteints de tumeurs multiples avaient utilisé l’ACP pendant une période plus longue (20,4 ans en moyenne) que les deux patients atteints d’un seul méningiome (10 ans).

L’ACP ne favorise pas la survenue de méningiomes agressifs, une conclusion soutenue par l’étude de Portet et al. qui a d’ailleurs trouvé une association positive entre l’histologie méningothéliale ou microkystique et l’ACP [23].

En octobre 2018, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé avait émis plusieurs recommandations parmi lesquelles la nécessité de suivre une indication plus rigoureuse de prescription et de réaliser une IRM cérébrale en début de traitement et régulièrement du traitement par l’ACP ne peut être supprimée (hirsutisme sévère). Cette orientation a été renforcée en juillet 2019 par l’obligation pour le prescripteur d’informer annuellement le patient du risque associé au méningiome de l’ACP qui doit en retour remplir et cosigner une attestation pour obtenir le traitement en pharmacie. Ainsi, le niveau de prescription de l’ACP qui était autorisé en France en 1980 a dramatiquement diminué.

La prise en charge conservatrice des méningiomes induits par l’ACP étant l’attitude recommandée compte tenu de la régression habituelle après l’arrêt du traitement, combinée à la diminution drastique de la prescription d’ACP, nous devrions observer dans un avenir proche, une légère diminution de la fréquence de résection des méningiomes autour de 50 ans et donc la disparition de cette distribution bimodale.

Conclusion

Au cours des 10 dernières années, un nombre important de méningiomes induits par l’ACP ont été retirés, modifiant la pyramide globale de l’âge au moment de la chirurgie pour les patientes. Ces tumeurs surviennent bien avant l’âge habituel et sont localisées préférentiellement sur la base antérieure et moyenne du crâne.

Remerciements Les auteurs tiennent à remercier Marjorie Boussac, Julius Kemme, et EL Mehdi GABBAS du CNAM pour leur aide dans l’extraction des données.

Contributions des auteurs CC : conception et design, acquisition des données, analyse et interprétation des données ; rédaction et révision du manuscrit, approbation finale. JW : conception et design, acquisition des données, analyse et interprétation des données ; révision du manuscrit, approbation finale. SF : conception et design. AS : conception et design, révision du manuscrit, approbation finale.

Financement Aucun.

Disponibilité des données et du matériel Restreint, les auteurs n’ont pas la permission de partager les données. Disponibilité du code Sur demande.

Respect des normes éthiques

Conflit d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Approbation éthique Cette étude a été menée selon les directives éthiques pour la recherche épidémiologique conformément aux normes éthiques de la Déclaration d’Helsinki (2008), auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), un comité d’éthique national indépendant, numéro d’autorisation : 2008538 ; selon les directives RECORD pour les études menées à partir de données de santé collectées en routine et, selon les directives SAMPL [18, 19].

Consentement éclairé Le consentement éclairé n’était pas requis en raison de la nature rétrospective de l’étude. Le SNDS crypte les informations personnelles des patients pour protéger la confidentialité et fournit aux chercheurs des numéros d’identification anonymes.

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