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PODCASTINE La difficile reconnaissance des victimes de médicaments contraceptifs

Les pilules contraceptives auraient tué 13 femmes entre 1985 et 2012, selon une étude de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament. D’après certaines associations, ce chiffre est sous-évalué car la reconnaissance du statut de victime relève du parcours du combattant. 

Sur un bout de papier, retrouvé dans sa chambre par ses proches, Théodora avait griffonné : « essoufflement, à cause de la pilule ? ». Des mots écrits peu avant qu’elle ne s’effondre sur le chemin de son lycée de Saint-Chamond, dans la Loire, le 14 octobre 2007. Elle avait 17 ans.

La jeune fille, qui ignorait qu’elle souffrait d’une hypercoagulité du sang -une coagulation accélérée-, prenait la pilule depuis 2 mois et demi. Inquiète de constater certaines anormalités, « elle avait rendez-vous chez un médecin le jour de son accident » se souvient sa sœur, Florence Markarian, présidente de l’Association des Victimes d’Embolie Pulmonaire et d’AVC. Théodora est l’une des treize femmes officiellement décédées à cause d’un traitement contraceptif, recensées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) selon une étude réalisée entre 2007 et 2011.

Ce chiffre est probablement sous-estimé, du fait des nombreuses difficultés à se faire reconnaître en tant que victime. L’acharnement juridique de Marion Larat le prouve: la jeune bordelaise, victime d’un AVC lié à la prise de la pilule Méliane lorsqu’elle était adolescente, lutte depuis huit ans pour engager la responsabilité du fabricant, le laboratoire Bayer. La journaliste indépendante Florence Heimburger raconte cette version moderne du combat de David contre Goliath pour Rue89Bordeaux et dans l’épisode du 10 novembre de Podcastine. 

Pour se faire reconnaître victime de médicaments contraceptifs, comme l’explique, amère, Florence Markarian, « il faut remplir des critères de recevabilité : un type d’accident, un délai et une gravité des séquelles avec l’atteinte permanente ou temporaire à l’intégrité physique ou psychique ». Et Florence parle en connaissance de cause, puisque c’est à l’issue d’un combat de trois ans que la Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation a fini par reconnaitre, en 2010, que le décès de sa jeune sœur, était directement imputable à la prescription du contraceptif.

De la perte des dossiers médicaux aux difficultés financières

A contrario, des séquelles handicapantes quotidiennes à long terme, comme certains troubles cognitifs ou l’extrême fatigue, suffisent rarement à être reconnue comme victime car elles ne sont pas toujours mesurables. Ce que regrette Emmanuelle Huet-Mignaton, présidente de l’association AMAVEA et victime de l’Androcur. À cause de ce médicament souvent prescrit comme contraceptif en France et aussi utilisé contre l’acné, Emmanuelle est atteinte de méningiomes – des tumeurs qui se développent à partir des méninges. « On m’en avait détecté cinq dans le cerveau ».

Son combat à elle a aussi été compliqué par des difficultés administratives. Pour monter un dossier auprès de son avocat, il lui aura fallu un an…avant de récupérer les 500 pages de son carnet médical. Le gynécologue qui réalisait son suivi, et qui continue d’exercer aujourd’hui à Poitiers, ne lui donnait pas accès à ses propres données médicales. « Heureusement, j’ai gardé toutes les ordonnances! Parce qu’officiellement, mon dossier est perdu . Ce n’est pas un cas isolé, cela arrive régulièrement, notamment lorsque les médecins sont à la retraite.».

À cette entrave, s’ajoutent les difficultés financières : comment régler les 250euros de l’heure de frais d’avocats quand les uniques ressources proviennent de l’Allocation aux Adultes Handicapés? Car, à la suite d’une thrombose ou d’un méningiome, le corps subit des dégâts irréversibles et « au moins la moitié des femmes qui nous contactent ne peut plus travailler» déplore Emmanuelle.

Bien d’autres freins existent: se faire reconnaître en tant que victime, c’est aussi subir un certain nombre de violences psychologiques. Lors d’une expertise médicale, les dégâts corporels, sanitaires et sociaux sont  souvent minimisés et « entendre que nos séquelles ne sont pas assez importantes quand bien même toute activité nous demande un effort surhumain, c’est insupportable », poursuit Emmanuelle.

Alors que les hommes sont féconds toute l’année jusqu’à la fin de leur vie, les femmes sont fertiles quelques jours par mois jusqu’à la ménopause. Pourtant, c’est bien à elles que sont presque systématiquement prescrits des médicaments contraceptifs qui portent parfois atteinte à leur intégrité physique. Cet état de fait peut-il perdurer, alors que la prise de conscience des inégalités entre femmes et hommes va croissante? Sur ce point, le débat public reste en tout cas extrêmement marginal…

Lisa Fégné

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