Année 2016.
J’ai 30 ans et je suis l’heureuse maman d’une petite fille, née dans les premiers jours de janvier. Des changements importants s’opèrent dans notre vie : nous sommes parents pour la première fois et nous déménageons dans une nouvelle ville. Je commence à ressentir beaucoup de fatigue et les maux de tête, présents tout au long de ma grossesse ne me quittent pas. Un bébé, un déménagement, un allaitement maternel difficile à mettre en place… la fatigue semble somme toute tout à fait normale. Je ne m’en inquiète donc pas plus et compte sur le temps pour atténuer mon état d’épuisement. Viennent les vertiges, de façon ponctuelle. Je remarque qu’ils sont particulièrement forts lors des menstruations.
Mon bébé dort à côté de moi et je suis prise de violents vertiges, semblables à un état d’ébriété, qui me rendent incapables de le tenir dans mes bras. Mon mari et moi commençons à prendre ces symptômes au sérieux et je consulte le premier médecin qui peut me recevoir, n’ayant pas trouvé de médecin acceptant de nouveau patient dans notre nouvelle ville.
Je présente mes symptômes, on me parle de syndrome paroxystique bénin. J’ai accouché il y a deux mois, ai déménagé et reprends bientôt le travail. Rien d’inquiétant donc. Le mois suivant, les vertiges reviennent avec vomissements en jet cette fois-ci. Je consulte un second médecin, qui confirme le premier diagnostic ; syndrome paroxystique bénin. J’ai repris mon travail, j’ai un bébé, j’ai déménagé. Je m’entends dire que la fatigue est normale. Pourtant les vertiges, la fatigue, les maux de tête et les vomissements reviennent tous les mois, et sont chaque fois plus forts. Je consulte un troisième médecin qui prend au sérieux mes symptômes et suspecte une tumeur de l’oreille interne. Elle rédige une ordonnance pour que je passe une IRM . Nous sommes en juin 2016, le rendez-vous est en septembre.
16 septembre 2016, jour de l’IRM, le couperet tombe. Le radiologue me parle d’une tumeur cérébrale. « Ici, nous avons d’excellents neurochirurgiens vous verrez, votre médecin traitant vous expliquera tout ». Je n’entends qu’une chose : « tu meurs ». Je repars avec mes clichés sous le bras, l’esprit embrumé par le discours du radiologue. Je suis seule, mon mari est en déplacement professionnel et je dois récupérer mon bébé chez l’assistante maternelle. J’exécute mes tâches quotidiennes et m’occupe de ma fille, comme si les résultats de l’IRM n’existaient pas. Je vais au travail le lendemain et prends rendez-vous avec celle qui deviendra mon médecin traitant le lendemain soir. Elle m’explique les clichés de l’IRM : il y a effectivement une tumeur cérébrale, bien visible sur les résultats d’IRM. Il me faut prendre rendez-vous avec un neurochirurgien, qui m’expliquera les suites. Je ne peux être reçue qu’une semaine plus tard. Une semaine où mon mari et moi sommes seuls avec ce diagnostic : tumeur cérébrale, méningiome de la fosse postérieure gauche. En 2016, nous n’avions aucune information sur les méningiomes, ses causes et ses conséquences. Seules quelques informations pouvaient être trouvées sur internet, et elles n’étaient pas de bonne augure. Alors je me prépare au pire. Je me prépare à partir, laissant orpheline une petite fille de 9 mois que je venais juste de mettre au monde.
Nous vivons cette semaine d’attente dans une autre dimension, reclus, et je comprends à quel point la vie de chacun d’entre nous ne tient qu’à un fil. Le neurochirurgien nous reçoit et nous explique que la tumeur a une localisation « sympathique », au sens médical du terme, et pourra être retirée dans sa totalité. L’opération est programmée 3 semaines plus tard.
11 octobre 2016, jour de l’opération. Je suis hospitalisée la veille et jusqu’à 22 heures, je n’ai aucune information sur le déroulement de mon opération. Le neurochirurgien prend le temps de répondre à toutes mes questions et me rassure. J’ai confiance en son savoir-faire, il le faut bien de toute façon. Je me souviens encore de ce ressenti très particulier du moment où je suis transportée au bloc opératoire. Un état nébuleux, le corps n’existe plus et l’esprit se promène très loin des murs de l’hôpital. J’ai peur de ne jamais me réveiller de cette lourde opération.
Le réveil se fait en soins intensifs. Je suis dans une grande salle, sous morphine. La nuit en soins intensifs est difficile, ma tête me fait mal et il y a de l’agitation à côté de moi. Je suis dans un état second à cause des antalgiques mais je comprends qu’une autre patiente ne va pas bien et le corps médical s’agite dans la pièce d’à côté.
Arrivée dans ma chambre d’hospitalisation, je dois attendre le passage du kinésithérapeute pour mon premier lever, qui se passe bien. Je ne peux me doucher seule après l’opération, une aide soignante m’accompagne et m’aide à effectuer les gestes. J’ai 30 ans et je suis assistée pour me doucher, c’est une véritable douche froide. Je vois dans son regard qu’elle comprend ma détresse du moment. Elle essaie de détourner mon attention en initiant des sujets de conversation et est bienveillante à mon égard.
Je suis heureuse de rentrer à domicile et de serrer mon bébé dans les bras. Ma fille marche très bien, mieux que quand je l’ai laissée une semaine auparavant.
Je reste couchée les premiers jours. Ma tête me fait toujours mal et il y a une boursouflure sur ma cicatrice. J’entends du liquide circuler dans ma tête, mes oreilles sont bouchées. Les antalgiques n’y font rien, je retourne consulter. Je suis envoyée en urgences à l’hôpital, c’est une fuite du liquide céphalo rachidien et on craint la méningite. On m’hospitalise 3 jours pour une ponction lombaire. La situation ne s’améliore pas, le neurochirurgien décide alors de m’opérer à nouveau pour une reprise. Une méninge ne remplissait plus son rôle d’étanchéité et laissait fuiter le liquide céphalo rachidien. On m’explique qu’une greffe de méninge en synthétique est prévue. Nous sommes le 11 novembre, 1 mois jour pour jour de la première opération. Au réveil de cette nouvelle opération, on m’explique que la méninge en synthétique n’a pas été utile, une greffe « naturelle » a été réalisée en grattant du périoste. Je ne pose pas de questions et ne cherche pas plus d’explications, je suis fatiguée.
Je rentre chez moi quelques jours plus tard. La fatigue est très présente, j’essaie d’oublier les deux derniers mois vécus et de me consacrer entièrement à ma fille. La fatigue fait de moi une spectatrice de ses évolutions et je culpabilise de ne pas pouvoir m’en occuper comme je le devrai.
3 mois plus tard, j’apprends que je suis enceinte. C’est une belle surprise mais ma gynécologue essaie de me préserver et nous conseille d’attendre le prochain rendez-vous avec le neurochirurgien avant de nous investir dans cette grossesse. Au regard de mes prédispositions au méningiome qui est une tumeur hormono-dépendante, cette grossesse ne pourra peut-être pas être menée à son terme. Mon neurochirurgien accueille favorablement la nouvelle et m’encourage dans cette grossesse, qui n’existerait pas si mon corps n’en était pas capable.
Étonnant hasard des dates, on m’annonce le terme de la grossesse au 11 octobre 2017. En 1 an , jour pour jour, la crainte de la mort et l’accueil de la vie se seront fait face.
Ma grossesse est évidemment fatigante, mais me permet de tout de suite rebondir et me projeter dans notre futur. La vie reprend son cours.
Depuis mes opérations, je garde des douleurs/ gênes selon les jours au niveau de ma cicatrice et ai besoin de séances régulières de kinésithérapie pour des massages cicatricielles. J’ai bénéficié de la technique du LPG pour assouplir les tissus. La partie opérée de ma tête est comme plus lourde et présente un creux osseux. Je ressens le besoin qu’une pression soit exercée sur mon crâne. De manière imagée, j’ai besoin « que l’on rentre mon crâne dans la tête ». C’est assez étrange et singulier comme sensation et je dois apprendre à vivre avec. Comme on me l’a dit récemment, c’est ma « blessure de guerre ». Je reste fatigable suite à ces deux opérations et constate un trouble de la mémoire immédiate, même si le bilan neuropsychologique ne confirme pas ce trouble que mes proches constatent pourtant. J’exerce toujours aujourd’hui mon activité professionnelle à temps partiel thérapeutique et ai la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ( RQTH).
Je ne saurai jamais ce qui a provoqué mon méningiome. La biospsie de la tumeur a révélé que les tissus de la tumeur étaient mous et son âge a été estimé entre 2 et 8 ans. Plus jeune, j’ai pris la pilule Diane 35 pendant 2 ans et Jasminelle pendant environ 5 ans.
Mes IRM annuelles de contrôle sont encourageantes. Le cap des 5 ans étant désormais passé, la prochaine IRM est fixée dans 3 ans.
J’espère avoir définitivement clos le chapitre du méningiome. La tumeur aura abîmé bien plus que mon crâne mais elle m’aura aussi ouvert la porte sur une autre vision de la vie.