Emmanuelle Huet-Mignaton, victime des effets secondaires du progestatif « Androcur », se confie à ELLE. Aujourd’hui, elle raconte son combat pour obtenir justice et protéger d’autres femmes grâce à son association, Amavea.
Quand un médecin lui prescrit l’ Androcur en 2003 pour soulager son endométriose, Emmanuelle Huet-Mignaton n’imagine pas une seconde que ce médicament bouleversera sa vie. « C’était un professeur de gynécologie réputé, je faisais confiance. » À l’époque, l’Androcur est présenté comme une solution efficace, capable de réduire les douleurs invalidantes liées à cette maladie chronique. Pourtant, ce progestatif de synthèse n’est pas conçu pour traiter l’endométriose. Initialement, l’Androcur est destiné à deux usages précis : traiter l’hirsutisme sévère, un excès de pilosité perturbant la qualité de vie des femmes ou freiner la progression du cancer de la prostate chez les hommes.
Mais dès les années 1990, il est massivement prescrit pour d’autres pathologies comme l’acné ou l’ endométriose, des usages hors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Ces prescriptions hors AMM concerneront jusqu’à 75 % des utilisations du médicament, exposant des milliers de femmes à des risques graves, souvent sans surveillance adaptée. Parmi eux : l’apparition de méningiomes, des tumeurs cérébrales bénignes mais compressives, pouvant entraîner des séquelles importantes.
« Avec ce médicament, tout ira bien »
Emmanuelle, alors âgée de 39 ans, accepte ce traitement, rassurée par les mots de son médecin. « Je me souviens lui avoir demandé si ce médicament était sûr. Il m’a répondu : “Avec ce médicament, tout ira bien.” Cette phrase m’est restée en tête. Elle coupait court à toutes mes questions. »
Confortée par cette assurance, elle débute un traitement censé lui offrir un répit face aux douleurs insupportables de son endométriose. Avant que sa santé ne bascule, Emmanuelle menait une carrière brillante comme consultante financière à la Banque de France. Pendant des années, l’Androcur semble tenir ses promesses. « Les douleurs ont diminué considérablement. Je pouvais vivre presque normalement. »
Mais dès 2011, des signaux d’alerte apparaissent. Des maux de tête récurrents, une fatigue chronique et des troubles de la parole inquiètent Emmanuelle. « Je sentais que quelque chose n’allait pas. Mais chaque fois que j’en parlais, on me disait que c’était du stress ou du surmenage. On ne m’écoutait pas. » Face à ces symptômes inexpliqués, son médecin généraliste évoque une possible dépression liée à son rythme de travail intense. « On m’a prescrit des antidépresseurs, on m’a envoyée voir un psychiatre. Pourtant, au fond de moi, je savais que ce n’était pas ça. Je me sentais ralentie, comme si mon cerveau ne fonctionnait plus comme avant. »
Ce diagnostic erroné conduit Emmanuelle à être placée en arrêt maladie pour burn-out. Les symptômes s’aggravent au fil des années, jusqu’à un événement marquant en 2017 : sa main droite devient soudainement inerte. « C’était le symptôme de trop. Mon médecin a enfin prescrit une IRM, et là, tout s’est écroulé. »
« Mon cerveau ne fonctionnait plus comme avant »
Lire aussi >> Androcur : une association de victimes du médicament, utilisé contre l’endométriose, porte plainte
Un diagnostic glaçant : cinq tumeurs cérébrales
Les résultats de l’IRM sont sans appel : Emmanuelle a cinq méningiomes, dont une tumeur volumineuse de la taille d’une orange. Ces tumeurs, bien que bénignes, compressent son cerveau et expliquent ses symptômes. Le neurochirurgien est formel : ces méningiomes sont directement liés à une utilisation prolongée de l’Androcur. « Quand il m’a annoncé que mon traitement était responsable, j’étais sidérée. Comment un médicament prescrit par des professionnels pouvait-il causer ça ? »
Le choc est immense, tant sur le plan physique que psychologique. « J’avais pris ce médicament pendant des années, et personne ne m’avait jamais parlé de ce risque. » Mais le diagnostic n’est que le début d’une nouvelle épreuve : l’une des tumeurs est trop volumineuse et nécessite une opération urgente, réalisée en octobre 2017. « J’avais tellement peur. J’imaginais mon crâne ouvert, les séquelles possibles… Tout ça me semblait irréel. »
Après l’intervention, la rééducation s’annonce longue. « Je ne pouvais plus parler correctement. Pendant des mois, j’étais aphasique. Chaque mot était une montagne à gravir. » Elle passe un an et demi en rééducation intensive pour retrouver une parole fonctionnelle. Mais elle sait qu’elle ne sera plus jamais la même. « Je fatigue vite. Je ne peux pas parler plusieurs heures d’affilée sans que ma voix flanche. Je dois faire des pauses constantes pour récupérer. »
Cette intervention marque un tournant dans la vie d’Emmanuelle. Les séquelles neurologiques l’empêchent de reprendre sa carrière de consultante financière et elle doit prendre une retraite anticipée pour invalidité à seulement 55 ans. « C’était une perte immense, à la fois financière et personnelle. »
« Personne ne m’avait jamais parlé de ce risque »
La naissance d’Amavea : ne plus jamais être seule
En 2018, alors qu’elle est encore en rééducation, Emmanuelle découvre qu’une étude de l’ANSM confirme le lien entre l’Androcur et les méningiomes. « J’ai compris que je n’étais pas seule. D’autres femmes vivaient la même chose. » Cependant, elle constate rapidement le silence de victimes souvent déboussolées.
Déterminée à agir, elle contacte Irène Frachon, célèbre pour son combat contre le Mediator. La lanceuse d’alerte l’incite à créer une association et à structurer son combat. Ce qu’Emmanuelle fait en janvier 2019, avec Amavea, une association dédiée aux victimes des progestatifs à risque. « Nous sommes là pour informer, accompagner et défendre ces femmes. Elles ne doivent pas traverser ça seules. »
Depuis sa création, le collectif a accueilli plus de 1 100 membres, des femmes et des familles confrontées aux méningiomes et autres effets secondaires graves des progestatifs. L’association agit sur trois fronts : l’information à l’adresse des potentielles victimes, l’accompagnement – qu’il soit médical ou juridique – et le lobbying pour élargir la surveillance des progestatifs.
Amavea a également permis de révéler l’ampleur des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché, un facteur clé dans ce scandale. « Les progestatifs étaient prescrits à plus de 85 % hors AMM, notamment pour l’endométriose. Ces prescriptions n’étaient pas justifiées et ont exposé des femmes à des risques qu’elles ignoraient. »
Une plainte pour comprendre et agir
En novembre 2024, après des années de travail, Amavea dépose une plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris. Cette plainte, portée par l’avocat Charles-Joseph Oudin, spécialiste des scandales sanitaires, cible des accusations graves : « administration de substance nuisible », « atteinte involontaire à l’intégrité de la personne », et « tromperie aggravée ».
Pour Emmanuelle, cette action n’est pas seulement une quête de justice : c’est une volonté de comprendre les failles du système. « Nous voulons savoir pourquoi les patientes n’ont pas été informées plus tôt. Pourquoi les prescriptions hors AMM ont continué malgré les alertes, et pourquoi les autorités sanitaires et les laboratoires ont mis tant de temps à agir. »
Malgré les pressions – notamment de certains gynécologues réticents à reconnaître leurs torts – Emmanuelle reste inflexible. « Chaque témoignage que je reçois me rappelle pourquoi je fais cela. Certaines femmes ont vu leur vie basculer à cause de ce manque d’information. Ce combat est éprouvant, mais indispensable. Et de conclure. Vous avez le droit de savoir. Posez des questions à vos médecins, exigez des réponses. Et surtout, vous n’êtes pas seules. Ensemble, nous sommes plus fortes. »