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Androcur- Interview du Pr Froelich à Libération le 10 septembre 2018

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Androcur- Interview du Pr Froelich à Libération le 10 septembre 2018
Cet entretien fait suite aux informations données par l’ANSM à l’été 2018, du sur-risque de développer des méningiomes sous acétate de cyprotérone (Androcur)

Sébastien Froelich : «Peu de risques en deçà de cinq ans de traitement»

Par Sabrina Champenois — 10 septembre 2018 à 19:36

L’Androcur peut susciter des méningiomes, mais ceux-ci sont bénins, souligne le neurochirurgien Sébastien Froelich, qui a participé à l’étude.

  • Sébastien Froelich : «Peu de risques en deçà de cinq ans de traitement»

Chef du service de neurochirurgie de l’hôpital Lariboisière à Paris, Sébastien Froelich est à l’origine et partie prenante de l’étude sur l’Androcur menée par la Caisse d’assurance maladie dont les résultats viennent d’être rendus publics par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM).

Un petit vent de panique s’est mis à circuler autour de l’Androcur. Est-il légitime ?

L’inquiétude est légitime. Je comprends que, pour une patiente qui prend de l’Androcur, ces résultats soient un facteur d’anxiété. Parce que le risque n’est pas négligeable, et qu’il est probablement sous-estimé vu que nous n’avons pris en compte que les méningiomes opérés (1). Et il y a environ 80 000 femmes qui prennent de l’Androcur en France.

Maintenant, ce qu’il faut savoir, c’est que le risque de méningiome augmente avec la durée de traitement et selon le dosage. Par exemple, la pilule Diane 35, qui n’est plus utilisée, contenait comme l’Androcur de l’acétate de cyprotérone mais seulement 2 mg et, dans ma pratique, je n’ai pas noté de lien entre la prise de cette pilule et le méningiome. Le risque de méningiome sous Androcur survient à des doses plus élevées et, surtout, quand il est pris sur une longue période. En clair : plus longtemps on prend de l’Androcur à des doses importantes, plus on encourt le risque de développer un ou des méningiomes. Les patientes que j’ai été amené à voir en consultation après un diagnostic de méningiome présentaient rarement une utilisation inférieure à cinq-six ans. J’ai donc peu d’inquiétudes pour les patientes qui prennent de l’acétate de cyprotérone depuis deux, trois ou quatre ans. Il faudrait probablement, pour des durées supérieures à cinq ans, faire une IRM de contrôle. Des recommandations précises seront prochainement discutées au cours de la réunion organisée début octobre par l’ANSM, qui rassemblera des endocrinologues, gynécologues, neurochirurgiens, experts de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam)…

«Méningiome», «tumeur», ces termes sont anxiogènes…

Oui, et ayant lu et entendu ces jours-ci des choses erronées, je tiens à préciser ce qui suit : le méningiome n’est pas un cancer. C’est une tumeur bénigne dans 70 % à 80 % des cas, et dans mon expérience, les méningiomes liés à l’acétate de cyprotérone sont toujours bénins. Je n’en ai jamais vu d’agressif. Dans la majorité des cas, il suffit d’arrêter [le médicament] pour que le méningiome se stabilise ou régresse. L’intervention chirurgicale est néanmoins parfois nécessaire, lorsque les symptômes sont sévères et importants.

Des témoignages de patientes évoquent des séquelles importantes, notamment visuelles…

Le méningiome est une tumeur qui se développe aux dépens des enveloppes du cerveau, autour de lui donc. Elle entraîne des symptômes parce qu’elle le comprime. Les méningiomes liés à l’Androcur surviennent essentiellement dans les parties antérieures de la boîte crânienne (plutôt dans les régions frontales) et sur les parties antérieures et moyennes de la base du crâne, le socle sur lequel repose le cerveau. Et, dans la partie antérieure de la base du crâne, se trouvent les nerfs optiques. Alors, de fait, un des symptômes fréquents de ce type de méningiome est des troubles de la vision liés à la compression du nerf optique ou du chiasma optique (partie où les deux nerfs se croisent). Mais d’autres symptômes sont possibles, en fonction de la localisation exacte du ou des méningiomes, qui est variable.

Pourquoi les hommes ne sont-ils pas concernés ?

Parce que ce traitement n’est utilisé chez les hommes que pour le cancer de la prostate. Son utilisation est, je crois, assez rare et sur des durées plus courtes. Il ne m’est arrivé qu’une fois de voir un patient présentant un méningiome lié à l’Androcur.

Quel est le lien entre méningiomes et hormones ?

Les méningiomes sont un peu plus de deux fois plus fréquents chez la femme. Ce sont des tumeurs dans lesquelles on trouve des récepteurs à la progestérone et, dans une moindre mesure, aux œstrogènes. Or la progestérone augmente chez les femmes pendant la deuxième phase de leur cycle menstruel, après l’ovulation, et au cours de la grossesse. Donc, en tant que neurochirurgiens, nous savons depuis longtemps que les progestatifs (hormones stéroïdiennes d’action similaire à la progestérone, présentes notamment dans les traitements substitutifs de la ménopause) peuvent avoir une influence sur la vitesse de croissance des méningiomes.

J’ai commencé à prendre connaissance d’un possible lien entre méningiome et l’acétate de cyprotérone en 2004 alors que j’étais jeune neurochirurgien au CHU de Strasbourg : j’avais dû opérer en urgence une patiente avec de nombreux méningiomes et qui était en train de perdre la vue. Elle prenait de l’acétate de cyprotérone et je lui ai fait arrêter ce traitement, pour la simple raison que c’est également un progestatif. Mais, à ce moment-là, je n’avais pas encore pris conscience du lien fort entre ce produit et les méningiomes de cette patiente. Trois ans plus tard, j’ai vu en consultation deux patientes avec des méningiomes multiples similaires, qui prenaient aussi de l’Androcur. Ça m’a mis la puce à l’oreille. Une troisième patiente admise peu après, inopérable, a vu son méningiome diminuer à l’arrêt du traitement. C’est à partir de là que je me suis intéressé plus particulièrement à l’Androcur.

La France a alerté dès 2009 l’Europe sur le risque de méningiome lié à l’acétate de cyprotérone…

A partir de 2008, j’ai présenté nos observations dans des congrès de neurochirurgie, de médecine interne et d’endocrinologie. Les autorités sanitaires françaises ont alors pris connaissance du problème et alerté les autorités européennes en 2009, qui ont fait modifier la notice du médicament par le laboratoire Bayer – qui le produit et le commercialise. Donc la France a réagi rapidement et, dès 2011-2012, dans la notice de l’Androcur, le risque de méningiome a été ajouté dans les effets indésirables et l’Androcur contre-indiqué en cas de méningiomes ou antécédents de méningiomes. Sachant que la France n’allait pas décider l’interdiction de ce médicament alors que mes observations ne se fondaient alors que sur huit patientes.

Une étude a bien été publiée en 2011, avec le soutien de Bayer, mais elle n’a pas confirmé de surrisque de méningiome chez les femmes prenant de l’acétate de cyprotérone. Et pour cause : les patientes étudiées, anglaises, n’étaient exposées qu’à de faibles doses. Ça n’a pas aidé à la mise en évidence ni à la reconnaissance de ce risque.

Neuf ans séparent l’alerte française de l’étude dont les résultats viennent d’être rendus publics. Ça fait long…

A partir de 2013, avec ma nouvelle équipe à l’hôpital Lariboisière, on a organisé un groupe de discussion autour de l’Androcur, avec des gynécologues et des endocrinologues. En 2015, avec l’aide d’une patiente qui est également médecin et qui nous a beaucoup aidés, nous avons convaincu la Cnam de la pertinence d’une étude nationale pour évaluer l’ampleur du problème.

La Cnam ne dispose d’une base de données que depuis 2006, or les méningiomes liés à l’acétate de cyprotérone n’apparaissent qu’après un certain nombre d’années de traitement. Un recul était nécessaire pour que’on puisse mettre en évidence un lien. Si l’étude avait été faite avant, nous n’aurions très probablement pas mis en évidence de risque ou un risque faible car nous n’aurions pas pu prendre en compte la durée d’exposition au traitement, qui s’avère déterminante.

(1) L’étude a inclus 250 000 femmes sous Androcur, qui ont été suivies pendant huit ans. Seuls les cas de celles qui ont été opérées pour méningiome ont fait l’objet d’une évaluation comparative qui a permis de définir le risque.

Sabrina Champenois

Androcur- Interview du Pr Froelich à Libération le 10 septembre 2018 

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