Frédérique Royer, 51 ans, Rémoise vivant à Tagnon dans les Ardennes et travaillant à Charleville-Mézières, s’est vu prescrire de l’acétate de cyprotérone de 2006 à 2018, comme contraceptif et anti-acné. Cette molécule est vendue sous le nom d’Androcur (Bayer), ou son générique
Cyprotérone (Biogaran).En 2018, une tumeur cérébrale volumineuse, appelée méningiome, lui est détectée, nécessitant une opération en urgence et entraînant des séquelles physiques, morales et cognitives.En 2019, la patiente assigne au tribunal sa gynécologue, à Courlancy, et le laboratoire Biogaran. En France, des dizaines de procédures sont lancées.Les risques de l’Androcur et de ses génériques sont signalés depuis 2008.Ce n’est qu’en 2018 que les autorités ont mis en garde contre ce médicament. (/art/110703/article/2018-09-08/prescrit-90000-femmes-l-androcur-multiplie-les-risques-de-tumeur-au-cerveau) 400 000 Françaises ont pris de l’Androcur de 2006 à 2015 ; au moins 500ont eu une tumeur des méninges.L’Androcur ou ses génériques traitent officiellement la pilosité extrême chez la femme, et le cancer de la prostate chez l’homme. Mais il a été démontré que ce traitement hormonal a été largement détourné, avec 80 % de prescriptions hors AMM (autorisation de mise sur le marché), comme contraceptif, contre l’endométriose, l’acné…
Quand avez-vous commencé à en prendre ?
Frédérique Royer : J’ai commencé en 2006, pour des raisons contraceptives et cutanées. Il m’apportait un vrai confort. C’était prescrit tout à fait normalement,comme une pilule. Je l’ai pris plus de dix ans, avec quelques interruptions.
En 2018, que s’est-il passé ?
J’ai eu une sorte d’épuisement, durant plusieurs mois, puis des migraines très violentes à répétition. Au point que mon médecin m’a prescrit un scanner en urgence. Juste après l’examen à Reims, on m’a demandé de ne pas me lever. On a posé un diagnostic que je ne comprenais pas : un méningiome, je ne savais pas ce que c’était.“On m’a dit que j’avais « une tumeur grosse comme une orange dans la tête ». C’était très brutal”.
l’Androcur) pris par Frédérique Royer, a été assigné en justice le 2 mai 2019
par la patiente. L’expertise ordonnée par le tribunal de Reims démontre que
la volumineuse tumeur cérébrale opérée en 2018, est « très
vraisemblablement imputable » au médicament reçu pendant des années.
Contacté, Biogaran refuse de s’exprimer : « La procédure étant en cours,
nous ne souhaitons pas nous exprimer à ce stade. »
aussi au printemps 2019. Mais comme elle a surtout pris, pendant plus de
dix ans, la formule générique du médicament (elle n’a été traitée à l’Androcur
que début 2018), son avocat et elle ont finalement décidé de ne pas
poursuivre le laboratoire allemand. Ce dernier ne manque toutefois pas de
procédures en cours.
de 2003 à 2017, année où cinq tumeurs lui ont été détectées, dont une aussi
grosse que celle de Frédérique Royer. Elle a dû subir trois opérations, qui
ont entraîné chez elles des problèmes d’élocution. Elle préside aujourd’hui
l’Amavea, association de victimes de méningiomes, créée en janvier 2019 et
agréée en juillet 2020 par le ministère de la Santé.
Nous avons près de 300 membres. On a toutes été opérées de
méningiomes (des tumeurs des méninges), on a toutes des séquelles plus
ou moins graves, physiques ou cognitives, notamment des troubles du
langage, de la vue, des crises d’épilepsie… C’est très important pour nous
d’être agréées officiellement, c’est une forme de reconnaissance, par rapport
à ce que certains docteurs peuvent penser, ou les bêtises affligeantes qu’on
peut lire sur les réseaux sociaux.
équivalent générique, et combien ont développé des tumeurs ?
risque de méningiome, 160 000 femmes en prenaient. Quand la vaste étude
de l’Agence du médicament et de la Cnam a été réalisée, en 2017-2018,
elles étaient encore 89 000. Depuis que le surrisque de méningiome a enfin
été reconnu (dix ans après les premières alertes de médecins !), il n’y a plus
que 10 000 femmes qui en prennent. L’étude de l’ANSM et de la Cnam a
montré qu’entre 2006 et 2015, plus de 400 000 femmes ont été traitées avec
de l’acétate de cyprotérone, le nom de la molécule, et 500 au moins ont eu
une tumeur. Il y en a sans doute plus, d’abord car on n’a compté que les
tumeurs opérées (certaines ne le sont pas car elles sont trop mal placées, ou
car elles régressent après l’arrêt de l’Androcur) ; ensuite parce qu’on n’a pas
pris en compte les méningiomes survenus après 2015.
conseille-t-elle aux victimes de lancer des actions en justice ?
tumeur. En 2018, la ministre de la Santé (Agnès Buzin, NDLR) avait beau
dire que ce sont des tumeurs bénignes, car elles sont non cancéreuses,
quand on se fait ouvrir le crâne en deux pour les retirer, ce n’est pas si
bénin… Il y a plusieurs dizaines de procédures en cours et nous les
accompagnons avec Me Joseph-Oudin, avocat des victimes du Mediator et
de la Dépakine. C’est important pour les victimes qu’elles obtiennent
réparation. À l’origine, l’Androcur n’aurait dû être prescrit aux femmes que
pour l’hirsutisme (pilosité extrême), mais 80 % des prescriptions ont été
faites pour d’autres raisons. Les laboratoires et les gynécologues doivent
rendre des comptes.